C'est un coup dur porté contre l'ex-Premier ministre pakistanais, mais aussi à son parti, la PML-N, à moins de trois semaines des élections générales. Nawaz Sharif a été condamné ce vendredi à dix ans de prison pour corruption, et à une amende de 6,8 millions d'euros dans un verdict historique. L'homme, qui domine la vie politique du pays depuis trente ans, avait été destitué par la Cour suprême en juillet dernier pour une affaire concernant l'achat de plusieurs appartements de luxe à Londres. Le scandale avait éclaté lorsque le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) avait publié des millions de documents secrets émanant du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca, les Panama Papers.
Sa fille, Maryam Sharif, souvent présentée comme son héritière politique, accusée de falsification de documents, a elle aussi été condamnée vendredi à sept ans de prison. Le rapport de la commission d'enquête composée de civils et de militaires qui avait servi de base au jugement avait constaté une «importante disparité» entre les revenus de la famille Sharif et son train de vie. Nawaz Sharif, qui se trouve à Londres où sa femme est hospitalisée pour un cancer, n'a pas assisté au verdict, mais a annoncé qu'il reviendrait au Pakistan «pour affronter la prison». «Aujourd'hui sonne l'aube d'un nouveau Pakistan: à présent, les voleurs n'iront plus dans les assemblées, mais en prison», s'est félicitée l'ancienne star de cricket Imran Khan, chef du parti rival de la PML-N, qui a fait de la lutte contre la corruption l'un de ses chevaux de bataille.
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Tout n'incite cependant pas à se réjouir de cette victoire des institutions démocratiques. La volonté affichée de Nawaz Sharif de faire la paix avec l'Inde voisine, sœur ennemie depuis le départ des colons britanniques en 1947, avait fait de lui la bête noire de la puissante armée pakistanaise. Dix ans après la fin du régime militaire, celle-ci est soupçonnée de continuer à tirer les ficelles du système judiciaire. «Tout le système politique et économique pakistanais repose sur la corruption, confiait à Libération une politologue l'an dernier. Il n'y a pas un militaire haut gradé, un haut fonctionnaire, un politicien qui ne soit corrompu. La vraie raison [de la destitution], c'est que pour des raisons de politique étrangère, l'armée a pensé qu'il était devenu ingérable et a choisi de l'écarter après des mois de matraquage médiatique.»
Nawaz Sharif n'a mené à terme aucun de ses trois mandats comme chef du gouvernement. Il avait déjà été contraint à la démission en raison d'accusations de corruption en 1993. Son deuxième mandat, démarré en 1997, avait tourné court en 1999 suite à un coup d'Etat militaire et il avait été contraint à plusieurs années d'exil en Arabie Saoudite. Son frère, Shahbaz Sharif, qui a pris sa suite à la tête de la PML-N, a dit rejeter le verdict, et déclaré: «Nous défendrons notre cause devant le tribunal du peuple le 25 juillet.» Depuis plusieurs mois, de nombreux observateurs s'inquiétaient du tour pris par la campagne électorale au Pakistan, avec la multiplication des atteintes à la liberté d'expression. Avec cette condamnation, la tension est encore montée d'un cran.
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