En Thaïlande, les choses ne sont jamais tout à fait comme elles apparaissent. Et pour certains Thaïlandais, la tragique histoire des douze enfants bloqués dans une grotte avec leur entraîneur de football depuis le 23 juin a aussi à voir avec le caractère sacré de ces lieux souterrains. Vendredi soir, au pied de la pente boueuse menant à la grotte de Tham Luang, sous les pitons rocheux qui chevauchent la frontière birmano-thaïlandaise, un bonze venu d'un temple voisin psalmodiait des mantras après avoir déployé un diagramme magico-bouddhique sur une table. «J'ouvre la forêt. Des fantômes et des esprits protègent la forêt. Peut-être que ces enfants ont commis un impair. J'invoque ces esprits pour implorer leur salut», explique-t-il. C'est que la légende veut qu'une princesse, Khun Mae Nang Non, s'est poignardée dans la grotte après que son père, un roi local, a fait exécuter son amant roturier. Avant d'entrer dans la grotte, il faut donc saluer respectueusement l'esprit de l'infortunée princesse.
Nul ne saura si les mantras du moine auront joué un rôle, mais le sort semble s'être montré favorable dimanche aux enfants et à leur entraîneur. Après que les autorités ont décidé de lancer l'opération d'évacuation dimanche matin, craignant que les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région depuis samedi ne bloquent les enfants pour des semaines voire des mois, quatre d'entre eux ont été ramenés à l'air libre dimanche en fin d'après-midi. Pour tous les Thaïlandais qui ont suivi ce drame humain minute par minute, c'est un soulagement considérable. «Je suis si contente qu'ils aient pu sortir de la grotte. Je suis aussi très reconnaissante aux policiers, aux militaires, aux secouristes et à tous les experts étrangers qui sont venus nous aider», indiquait Sing Thanavorn, propriétaire d'un petit hôtel près du site de la grotte, en suivant l'évolution de la situation sur sa télévision.
La mésaventure des «Sangliers», tels que sont surnommés les membres de cette équipe de foot junior, âgés de 11 à 16 ans, et de leur entraîneur Ekapol Chanthawong, 25 ans, a commencé comme une simple excursion. Le 23 juin dans l’après-midi, après un entraînement, Ekapol amène les enfants à cette grotte qu’il connaît parce qu’il avait l’habitude d’y méditer quand il était bonze. Mais peu après avoir franchi l’impressionnante entrée de Tham Luang et progressé à l’intérieur de la grotte, les «Sangliers» sont surpris par les trombes d’eau qui commencent à tomber, les forçant à s’enfoncer dans les galeries.
«Sortis un par un»
Une énorme opération de secours est alors mise en place, avec la participation de plus de 1 000 secouristes, militaires et volontaires, y compris des experts venus des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Australie, de Chine, de Birmanie et du Laos. Un camp de commandement, aux allures de quartier général à l’arrière d’un champ de bataille, est installé dans un vaste espace détrempé par les pluies de la mousson à l’entrée de la grotte. Des centaines de journalistes locaux et internationaux s’y installent, sous des auvents, entre cantines, hôpitaux mobiles et salons de coiffure. Il s’en suit une longue angoisse, brisée le 2 juillet lorsque trois plongeurs britanniques participant à l’opération de secours retrouvent les enfants et leur entraîneur, indemnes mais affaiblis, environ deux kilomètres à l’intérieur.
L'opération d'évacuation lancée dimanche matin consiste à guider les «Sangliers» hors de la grotte par le chemin qu'ils ont emprunté il y a maintenant plus de deux semaines. Dix-huit plongeurs y participent : treize experts étrangers, spécialisés en plongée dans les grottes, et cinq commandos de la marine thaïlandaise. «Les enfants seront sortis un par un. Chaque enfant sera assisté par deux plongeurs. L'évacuation est organisée dans les meilleures conditions possibles car le niveau de l'eau a baissé de 30 % comparé à la semaine dernière», indiquait dimanche matin Narongsak Ossothanakorn, gouverneur de la province de Chiang Rai et coordinateur de l'opération de secours.
Jeûne forcé de dix jours
Les enfants et leur entraîneur ont bien reçu une initiation de quelques jours à la plongée, mais aucun des enfants ne savait nager il y a encore une semaine. Pour l'évacuation, ils sont équipés d'un masque et d'une bouteille d'oxygène, mais dans les passages étroits et totalement inondés, chacun doit progresser tout seul en se guidant à l'aide d'une corde. La bouteille est alors détachée et portée par un plongeur qui suit l'enfant. La stratégie adoptée est risquée, mais le début des pluies de la mousson n'a guère laissé de choix. Samedi soir, Narongsak lui-même reconnaissait que, dans les prochains jours, les enfants «pourraient se retrouver confinés dans un espace d'une dizaine de mètres carrés».
Pour comprendre la complexité de cette opération de secours, il faut d’abord décrire le profil géologique de la grotte de Tham Luang, longue d’une dizaine de kilomètres et située à une profondeur entre 800 mètres et deux kilomètres sous la chaîne montagneuse de Nang Non qui chevauche la frontière. Cette grotte calcaire s’articule en deux principales galeries, avec certains passages d’une largeur entre un mètre et quarante centimètres, qui relient trois salles dominées par d’impressionnantes stalactites. Lorsqu’ils sont entrés dans la grotte pour ce qui devait être une excursion de quelques heures, les enfants et leur entraîneur ont dépassé de 400 mètres une section de la grotte particulièrement spectaculaire, appelée «Pattaya Beach», du nom d’une célèbre station balnéaire de l’est thaïlandais. Ils se sont retrouvés à 1 700 mètres de l’entrée.
Pari audacieux
Le trajet en partie immergé qui relie la troisième chambre, transformée en centre de commandement de l’opération de secours, à l’endroit où se trouvent les enfants prend normalement six heures pour l’aller, et cinq heures pour le retour pour des spéléologues confirmés. La rapidité de l’évacuation des premiers enfants est donc surprenante. Cependant l’opération a été suspendue dans la soirée face à l’arrivée de pluies diluviennes qui ont provoquée de forts courants dans la grotte et une baisse du niveau d’oxygène.
Après avoir été localisés dans la grotte, les enfants ont reçu des aliments à haute valeur énergétique et ont été initiés à la plongée par des experts et des commandos de la marine. Mais plusieurs d'entre eux, ainsi que l'entraîneur, se sont mal remis du jeûne forcé de dix jours et restent fortement affaiblis. Il était donc clair que l'option choisie d'une «évacuation horizontale» par un tel réseau de galeries n'était pas sans risques. La mort jeudi par noyade, dans l'une des galeries immergées, de Saman Kunan, un secouriste chevronné de 38 ans, pratiquant du triathlon et ancien commando de marine, en est un tragique témoignage. Cet accident a envoyé une onde de choc à travers le royaume, chacun prenant mieux la mesure des risques encourus. Se sentant responsable de la suite néfaste d'événements, l'entraîneur a fait parvenir vendredi une lettre aux parents des enfants. «Je promets de m'occuper des enfants le mieux possible. Je m'excuse pour tout ce qui s'est passé», a-t-il griffonné sur une feuille ramenée par les secouristes. Le 23 juin, il avait emmené les enfants dans la grotte sans tenir compte du fait que celle-ci est fréquemment inondée lors de la saison des pluies.
Depuis plus de deux semaines, les secouristes ont tenté de trouver d'autres possibilités, moins périlleuses, pour évacuer les enfants et leur entraîneur. Des centaines de militaires et de volontaires, assistés par des drones, ont découvert plusieurs dizaines de puits dans la chaîne montagneuse qui couvre la grotte. Les plus prometteurs, dont l'un de 400 mètres de profondeur, ont été explorés par des spéléologues ainsi que des «chasseurs de nids d'oiseaux», ces Thaïlandais du Sud qui grimpent dans les cavernes pour collecter des nids d'hirondelles, une denrée précieuse en Asie. «Nous avons trouvé une cheminée profonde de plusieurs centaines de mètres. Nous allons y dormir cette nuit pour continuer à l'explorer», indiquait vendredi un spéléologue traversant le camp de commandement. Certains de ces puits ont été élargis avec des foreuses pour évaluer la possibilité de les utiliser pour une évacuation. Mais, les secouristes se sont vite rendu compte que la chance que l'une de ces cheminées communique directement avec la partie de la galerie où se trouvent les enfants et leur entraîneur était infime. En revanche, le pari audacieux d'évacuer les enfants par le chemin des galeries semble, lui, en passe d'être gagné. Comme si la princesse et les esprits de la forêt avaient décidé de montrer leur clémence vis-à-vis des «Sangliers» de Mae Sai.