Donald Trump s'est réservé le meilleur pour la fin, dit-il. En conclusion d'une tournée européenne polémique qui l'aura conduit à Bruxelles pour un sommet de l'Otan et à Londres pour une rencontre avec la Première ministre britannique, Theresa May, le président américain s'entretiendra en tête à tête avec Vladimir Poutine ce lundi lors de leur premier sommet bilatéral, à Helsinki. Une rencontre à laquelle le chef d'Etat s'est préparé en trépignant d'impatience. «Je pense que Poutine sera la partie la plus facile de mon voyage en Europe», avait-il lancé, avant son départ des Etats-Unis. Un rendez-vous avec le chef du Kremlin, dont le président américain a lui-même dit qu'il ne sait pas s'il est un allié ou un ennemi, serait ainsi plus facile que des rencontres avec des chefs d'Etat «amis» ? C'est en tout cas ce qu'espérait Donald Trump, qui chante régulièrement les louanges de son homologue russe.
Mais c’était sans compter l’accumulation des dossiers qui opposent les deux grandes puissances. Vendredi, à trois jours du sommet, l’interminable affaire de l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 est venue un peu plus gâcher les préparations de la fête. Douze agents russes, accusés d’avoir piraté le Parti démocrate en 2016, ont été inculpés sur demande du procureur spécial Robert Mueller. Un contentieux retentissant qui s’ajoute à d’autres sujets sensibles : l’annexion de la Crimée par la Russie, la guerre en Syrie, les cyberattaques, et l’affaire Skripal, du nom de cet ex-espion russe empoisonné au Royaume-Uni, qui a conduit à des expulsions massives de diplomates à Washington et à Moscou. Résultat : les relations entre les Etats-Unis et la Russie n’ont jamais été aussi mauvaises depuis la fin de la guerre froide. Le sommet se tient d’ailleurs en «territoire neutre», dans la capitale finlandaise.
Faucons
Pourtant, pas de quoi préoccuper outre mesure Donald Trump, qui a déjà déclaré «ne pas s'attendre à grand-chose lors de cette rencontre». Questionné sur le meilleur accord qu'il espérait obtenir, il s'est même laissé aller au sarcasme : «Le meilleur accord ? Si on pouvait trouver un remède à toutes les maladies de l'humanité, ce serait un bon début.» «Je ne suis pas sûr de comprendre ce que Trump veut retirer de ce sommet», avoue Jeff Mankoff, chercheur et codirecteur du programme Russie et Eurasie au sein du Centre d'études stratégiques et internationales. «Mais les intérêts des Etats-Unis ne sont pas nécessairement les intérêts de Trump…»
Selon certains, le président américain aurait simplement une admiration pour la Russie, cette grande puissance insoumise aux alliances multilatérales, à l'inverse des pays de l'Union européenne. Et une affinité pour Vladimir Poutine, avec qui il a en commun une vision nationaliste pour son pays. Ajouté à cela, il pourrait s'agir pour Trump d'asseoir sa position de leader, sauveur des situations diplomatiques en péril, estime Jeff Mankoff. «Il veut peut-être faire comme avec le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un. Il pense qu'il peut régler des problèmes a priori insolubles et que cela lui permettra d'avoir une couverture médiatique favorable.» Et d'ajouter : «Mais je n'ai aucune idée de la stratégie qu'il compte employer pour parvenir à un rapprochement avec Moscou.»
Surtout que la position de Donald Trump ne semble pas populaire parmi les faucons de Washington, partisans d'une ligne dure. En avril, un nouveau train de sanctions a été décrété contre la Russie, visant pour la première fois des oligarques proches de Poutine. Preuve d'un affrontement de courants opposés à Washington : alors que, fin juin, Donald Trump a laissé planer le doute sur une probable reconnaissance de la Crimée comme partie intégrante de la Russie, au grand bonheur de Moscou, une déclaration officielle est venue redresser le tir quelques jours plus tard. «Les sanctions contre la Russie resteront en place jusqu'à ce que la Russie rende la péninsule à l'Ukraine», a affirmé la porte-parole Sarah Sanders.
Aux Etats-Unis, d’aucuns craignent que Donald Trump ne soit pas le meilleur interlocuteur pour faire face à Poutine. Après les révélations des douze inculpations d’agents russes, des démocrates, ainsi que le sénateur républicain John McCain, ont aussitôt réclamé - en vain - l’annulation de la réunion d’Helsinki. En substance, ils estiment qu’il est de mauvais augure de s’entretenir avec un pays qui pourrait être enclin à interférer dans la politique américaine, à moins de quatre mois des élections de mi-mandat.
Licorne
Mais ils arguent surtout que Donald Trump, qui plaide pour un G7 augmenté à huit en comprenant la Russie, n'est tout simplement «pas prêt à demander des comptes à Vladimir Poutine». Et pour cause, le locataire de la Maison Blanche a déjà affirmé qu'il croyait la version de la Russie quand elle nie toute ingérence dans la campagne. «Tous les patriotes américains devraient comprendre que Poutine n'est pas un ami de l'Amérique et n'est pas un copain du Président», a déclaré vendredi le sénateur républicain Ben Sasse, fervent critique de Trump. Dans les médias américains, la stratégie ambiguë des Etats-Unis face à la Russie a donné lieu à de vastes spéculations, notamment celle, étayée par le New York Magazine, selon laquelle l'ex-magnat de l'immobilier serait un agent des Russes depuis 1987. Sur un ton plus léger, Bill Plympton a réalisé pour le New York Times un dessin animé satirique dans lequel un Donald Trump fou d'amour pour Vladimir Poutine chevauche une licorne volante, agrippé à la taille de son bien-aimé… avant de se réveiller de son fantasme, seul dans sa chambre. Une manière de démontrer que, si histoire d'amour il y a, elle est à sens unique. «Le président russe a, lui, des choses concrètes à retirer de cet entretien», dit Jeff Mankoff. «A commencer par la preuve qu'il n'est pas si isolé qu'il en a l'air et une reconnaissance de sa stature. Il peut aussi négocier de la souplesse par rapport aux sanctions.» Des rumeurs courent également sur la possibilité d'un accord sur la Syrie, impliquant le retrait de troupes américaines du pays.