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Nicaragua : Rosario Murillo, la sorcière mal aimée

Férue d’ésotérisme, la première dame et vice-présidente n’a pas de scrupule lorsque son pouvoir est en jeu.
Daniel Ortega vec sa femme, Rosario Murillo, le 7 juillet dernier à Managua. (Photo Marvin Recinos. AFP)
publié le 18 juillet 2018 à 20h46

Plutôt que de dire «Ortega» pour désigner l'autorité suprême qui tient le Nicaragua en coupe réglée, on devrait évoquer «les Ortega». Dans cette République bananière qui ne dit pas son nom, et a longtemps profité du sceau de sandiniste comme passe-partout moral, c'est en réalité un couple qui est aux commandes. A ma droite, Daniel, comme l'ont longtemps appelé les 6 millions de Nicaraguayens - par adhésion ou, plus souvent, avec crainte. A ma gauche, «la Chamuca», la «Diablesse» (ou la «Sorcière»), un surnom lié à ses supposés pouvoirs surnaturels et à une énergie perçue comme maléfique. Soit Rosario Murillo, 67 ans, vice-présidente depuis l'an dernier de cette fausse démocratie, «première dame» depuis 2007. Cette Elena Ceausescu d'Amérique centrale est une excentrique, fidèle du gourou indien Sai Baba, aux goûts ésotériques, férue de symboles mayas et d'esthétique New Age.

Cartomancienne

Avant que les Nicaraguayens ne se soulèvent face à un pouvoir népotiste (l'essentiel des entreprises d'information est aux mains des Ortega et de leur progéniture), la «Diablesse» a façonné et occupé l'espace public. C'est elle qui chaque jour vers midi s'adressait au peuple via une des télés sous sa férule, sur le ton d'une mère à ses enfants, maîtresse de la communication du régime. Derrière la prêtresse peace and love, il y a en effet la «dame de fer» qui fait et destitue les ministres, assure l'intendance, sans supporter la moindre indiscipline, et offre magnanimement aux pauvres des toits en zinc ou des bons alimentaires - un clientélisme qui lui assure des milliers de dévots. Rosario Murillo a modifié l'imagerie officielle : fini le noir et rouge de la révolution, place aux couleurs gaies. Surtout le fuchsia, omniprésent sur les affiches, les édifices de l'Etat, et même sur le fronton de la cathédrale de Managua. Avec elle, tout est décoration. Un empire du kitsch, à l'image de son accoutrement bariolé.

Dans ce pays fervent, elle a fait main basse sur les symboles religieux. Les fêtes catholiques sont célébrées à sa gloire, elle qui, après avoir vécu longtemps «dans le péché», s'est rachetée une virginité morale en épousant le comandante Daniel, en 2005, lors de noces fastueuses organisées par le cardinal Obando, anticommuniste. Comme si sa parole était celle de la divinité, la première dame a décrété que le Nicaragua était un paradis «socialiste, chrétien et solidaire». A Managua, elle a fait construire à chaque rond-point des «arbres de la vie» inspirés de la Genèse , des colosses jaunes de 14 mètres de haut, qu'aujourd'hui les citoyens en colère tentent de faire voler en éclats. Celle qui a le look d'une diseuse de bonne aventure est la fille d'un propriétaire terrien et d'une cartomancienne.

Pacte

Après des études en Angleterre et en Suisse, des séjours new-yorkais avec Norman Mailer et Jane Fonda, elle jette son dévolu sur le guérillero Daniel Ortega. Elle le conseille, l'oriente, lui écrit ses discours. Elle sait qu'elle a choisi le bon cheval. La Diablesse ignore les scrupules. En 1998, sa propre fille, Zoilamérica, dénonce son beau-père Daniel pour l'avoir abusée sexuellement depuis ses 11 ans. Après une certaine confusion, Rosario Murillo prend en 2001 le parti de son compagnon et traite sa fille de «mythomane». Les médias d'opposition sont persuadés que le soutien de la mère a été assorti d'un pacte entre elle et Daniel Ortega, sur le mode : je couvre tes ignominies, mais nous partagerons le pouvoir.