Les photos prises par l'Américaine Susan Meiselas au Nicaragua entre le lancement de l'insurrection armée contre la dictature, en juillet 1978, et la fuite du tyran Somoza, en juillet 1979, ont fait le tour du monde. Celle du guérillero lançant un cocktail Molotov est restée emblématique. Après la victoire du Front sandiniste, ses images montraient la jeunesse et l'enthousiasme de la révolution socialiste, et ont contribué au courant planétaire de solidarité avec le Nicaragua libéré. La photographe, 70 ans, est retournée dans le pays début juillet, en «urgence» dit-elle, pour témoigner du mouvement citoyen contre le gouvernement. Libération l'a jointe à San Francisco, où le musée SFMoma lui consacre à partir de samedi une rétrospective, celle qu'on a pu voir au printemps au musée du Jeu de paume à Paris.
Quelles ont été vos relations avec le Nicaragua après l’arrivée au pouvoir des sandinistes, en 1979 ?
J'y suis retournée régulièrement, et j'ai gardé un contact étroit avec le pays. Dix ans après la guerre civile, je suis allée à la recherche des personnages de mes photos, ce qui a donné le documentaire Pictures from a Revolution, en 1991. J'y étais encore en janvier. The Economist m'avait commandé un reportage sur les écoles d'enfants sourds qui ont développé une nouvelle langue des signes. Car il ne faut pas oublier que les sandinistes ont fait de très bonnes choses.
Pourquoi y êtes-vous retournée ces derniers jours ?
Le déclic est venu d'un message posté sur Facebook. Un internaute avait mis en regard ma photo de l'homme au cocktail Molotov de 1979 et une image récente d'un manifestant dans une pose très proche. La légende disait «quarante ans plus tard». Ça m'a laissée sans voix, il fallait que je retourne sur place.
Le parallèle entre la lutte contre Somoza et celle contre Ortega vous paraît-il pertinent ?
Absolument, mais il y a une énorme différence. A l'époque, il y avait une guérilla bien armée et très efficace. Aujourd'hui, les opposants sont désarmés, à part à Masaya où ils emploient des «bombes de contact» [un explosif artisanal, ndlr], mais c'est dérisoire.
Dans vos photos du quartier de Monimbo à Masaya, les manifestants portent les mêmes masques que sur vos clichés de 1978-79.
Oui, ça m’a beaucoup émue. Des gens m’ont abordée en me disant que je les avais photographiés quarante ans plus tôt. Ce sont eux qui m’ont reconnue, pas moi.
Vos images des années 70 ont sensibilisé l’opinion au combat des sandinistes. Souhaitez-vous que vos photos actuelles jouent le même rôle ?
Mes photos n’ont aucune importance. Je veux juste qu’on prenne conscience de la tragédie que vivent les Nicaraguayens aujourd’hui.