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Analyse

A Gaza, «l’Egypte et l’ONU jouent les extincteurs de dernière minute, mais les flammes sont partout»

Après les bombardements de la zone par Israël vendredi, un cessez-le-feu a fait revenir un calme relatif. Mais les raisons de cette escalade restent irrésolues.
Un bombardement israélien sur la bande de Gaza, vendredi. (Photo Jack Guez. AFP)
publié le 22 juillet 2018 à 18h20

Depuis dix ans, tant chez les Israéliens que les Palestiniens, la crainte s'installe chaque été à mesure que le mercure grimpe : y aura-t-il une nouvelle guerre à Gaza ? Trois ont déjà eu lieu (2008, 2012, 2014), pendant qu'entre chaque conflit meurtrier (Tsahal parle pudiquement d'«opérations»), Israël poursuit sa «guerre entre les guerres» contre le Hamas. Un ni-ni éprouvant basé ces dernières semaines sur un «dialogue» par la poudre (drones contre cerfs-volants, chasseurs F16 contre roquettes) à l'asymétrie flagrante, de plus en plus intenable. Dans le même temps, l'Etat hébreu garde un œil inquiet sur son «front nord», avec la reprise des territoires bordant le Golan occupé par les forces de Bachar al-Assad, avec le soutien de milices pro-iraniennes.

Vendredi à la nuit tombée, pour la deuxième semaine consécutive et la quatrième fois en deux mois, l'aviation et les tanks israéliens ont pilonné l'enclave palestinienne, détruisant «une soixantaine de sites militaires du Hamas», selon Tsahal, et tuant quatre Palestiniens, dont trois membres des brigades Ezzedine al-Qassam, comme l'a revendiqué le bras armé du mouvement islamiste. Ce bombardement, le plus intense en quatre ans, se voulait une riposte à la mort d'un soldat israélien de 21 ans abattu par un sniper palestinien durant la manifestation hebdomadaire de la «Marche du retour» à la frontière. Il s'agit du premier soldat israélien tombé à Gaza depuis 2014, illustrant par ailleurs la mutation du mouvement à l'origine non-violent depuis sa reprise en main par le Hamas.

Diagnostic

Alors que le pire semblait certain, un cessez-le-feu négocié par l’Egypte et Nikolaï Mladenov, l’envoyé de l’ONU pour le «processus de paix», a été trouvé en quelques heures, les factions palestiniennes cantonnant leur riposte à quelques roquettes à portée inoffensive. Depuis, un relatif calme semble avoir été restauré.

«Pendant le week-end, nous avons appris par les émissaires Qataris qu'Israël et le Hamas avaient un accord informel pour éviter la guerre, explique Ofer Zalzberg, analyste au Crisis Group. Mais un conflit reste plus que jamais possible, car aucune des causes profondes n'est résolue.»

Le diagnostic fait consensus, y compris côté israélien : la situation humanitaire à Gaza est catastrophique. Coupes américaines dans le budget de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ; sanctions infligées par le président palestinien Mahmoud Abbas sur la fourniture en électricité (réduite à 4 heures par jour) et les salaires des fonctionnaires ; blocus israélien total avec la fermeture de Kerem Shalom, seul point de passage pour les marchandises, en représailles aux cerfs-volants… Dimanche, l'ONU a annoncé que la pénurie de pétrole avait forcé la fermeture d'un hôpital. «Intenable, juge Omar Shaban, de l'institut PalThink, établi à Gaza. On ne peut supporter ces accès de fièvre, ces trêves fragiles et l'asphyxie. L'Egypte, le Qatar et l'ONU jouent les extincteurs de dernière minute, mais les flammes sont partout.»

Tout comme les impasses. Malgré les efforts du Caire, la réconciliation intrapalestinienne semble illusoire. Les discussions autour d'un échange de prisonniers avec le Hamas, qui détient deux civils israéliens et les corps de deux soldats, ont échoué. Quant à un allégement significatif du blocus, il n'est pas à l'ordre du jour. Le ministre de la Défense israélien Avigdor Lieberman envisage seulement la réouverture de Kerem Shalom si le calme persiste. Insuffisant pour Omar Shaban : «Pour arrêter la campagne des cerfs-volants, il faut que le Hamas présente une avancée concrète aux jeunes, à ceux qui n'ont rien à perdre.»

Massacre

Dans l’appareil militaire, partir en guerre pour des cerfs-volants incendiaires, même si ceux-ci ont brûlé des milliers d’hectares de terre sans faire de victime, est jugé dangereusement disproportionné. Mais l’opinion publique, l’opposition et la frange la plus extrémiste du gouvernement acculent le Premier ministre Benyamin Nétanyahou. D’autant que la situation dans le Golan, qui monopolisait jusqu’alors l’état-major, semble se clarifier. Dans la nuit de dimanche, sous la pression des Etats-Unis et du Canada, l’armée israélienne a évacué 422 «casques blancs», ces secouristes volontaires syriens, par le Golan, les escortant jusqu’en Jordanie.

Mais l'Etat hébreu, soucieux d'éviter un massacre à sa frontière mais pas au point d'accepter des réfugiés, a réitéré sa politique de «non-interférence», actant le retour des forces loyalistes dans la région de Quneitra, alors que les rebelles abandonnaient le seul poste-frontière entre la Syrie et Israël. Une nouvelle donne perçue cyniquement comme stabilisatrice par Israël. «Cela rend une opération militaire à Gaza légèrement plus facile pour Nétanyahou, mais elle crée aussi une vulnérabilité, car il n'a pas obtenu des mesures aussi robustes qu'il souhaitait sur la présence iranienne en Syrie, estime Ofer Zalzberg. In fine, Nétanyahou veut un retour au statu quo impossible.»