Mais qui est donc ce barbu à cigare au côté de Marita ? Sur l'une des nombreuses photos qui les montrent ensemble, il lui passe un truc de sa main gauche, on est dans un bar, années 50-60. Là, il la regarde amoureusement, levant la tête vers elle. Ici, il n'a pas son éternel couvre-chef, mais un barreau de chaise à peine plus petit qu'une baguette. C'est bien lui, Fidel Castro, l'amour de la belle Marita Lorenz, qui raconte sa vie tumultueuse avec le héros de la révolution cubaine qui, quand elle le rencontre en 1959, vient de renverser sur son île le dictateur proaméricain Batista. Son livre fleuve, J'étais l'espionne qui aimait Castro, plutôt touchant et pas mal écrit, s'ouvre sur ce triste constat : «Mon destin a toujours été d'être seule. Je ne sais pas pourquoi.» Elle dit aussi avoir souvent souhaité mourir. Aujourd'hui, à 78 ans, elle finit sa vie dans le Queens (New York) grâce à l'aide publique, sans qu'on lui accorde une quelconque pension, accompagnée d'un énorme poisson rouge qui se lance parfois contre son bocal «comme dans une mission suicide».
Mission. Sa vie, roman tragique, commence par la perte in utero de sa sœur jumelle à Brême, en août 1939, quand le berger allemand d'un SS, se jetant sur sa mère, provoqua l'accouchement. Jusqu'en 1945, son existence sera un enfer. Sa mère, américaine et espionne pour son pays, est internée par les nazis, la petite Marita va de caves en bombardements, d'hôpitaux tenus par des SS au camp de concentration de Bergen-Belsen. A 7 ans, elle est violée par un sergent américain… Bref, des débuts épouvantables, mais la fille du capitaine de la marine allemande Lorenz et de l'espionne américaine Alice finit par quitter l'Europe et débarque, un beau jour, au port de La Havane. Les relations avec les Etats-Unis ne sont pas encore figées. Elle y fait la rencontre qui va orienter toute sa vie : un beau gosse barbu et assuré, tout de kaki vêtu, monte à bord. La mer, le soleil, l'ivresse de la révolution, que sais-je, ils s'embrassent follement sur le bateau. Premier baiser avec Fidel Castro, pas mal comme début de carrière.
La belle rentre aux Etats- Unis, le séduisant révolutionnaire l'appelle, elle vole vers lui, il la fait tournoyer dans ses bras et paf, dans la suite 2 408 du Hilton de La Havane où il logeait, ils deviennent amants. Et comme l'histoire l'a retenu, son frère Raúl et Che Guevara occupaient les chambres d'à côté. Voilà pour la facette glam. Ensuite, il y a que Fidel ne l'est pas du tout - fidèle - mais qu'il revient toujours, qu'il est l'amour de sa vie et qu'il l'appelait «mon soleil».
Ledit soleil tombe enceinte, puis est droguée et forcée à un prétendu avortement : en réalité, son fils, à terme, lui a été ravi. Elle ne le saura que deux ans plus tard, en 1961, lorsque la CIA et le FBI lui confieront la mission de tuer Fidel Castro. Oui, sa vie est un roman et cette scène-là, une mauvaise scène de mauvais film. Elle se retrouve devant le dirigeant cubain dans la chambre 2 408 pour le buter, il est allongé, lui tend son propre revolver, elle ne peut pas tirer, il lui dit «personne ne peut me tuer», et lui annonce que leur fils est vivant. Choc.
Armes. Plus tard, Marita continue à grenouiller dans les milieux anticastristes, et dit dans sa biographie que, quand on commence à être espionne, on n'arrête pas. Elle y rencontre Oswald, le tueur de Kennedy, convoie des armes de Miami à Dallas, soutient qu'Oswald n'était pas le seul tueur, etc. Vingt ans et une histoire avec un autre dictateur plus tard (le Vénézuélien Jimenez, dont elle eut une fille, avec laquelle elle fut abandonnée dans la jungle, au milieu d'une tribu yanomami), cette espionne malgré elle ressurgit chez Castro, qui n'est pas ravi de la voir. Elle y aperçoit son fils, et le reconnaît parce qu'il a les mêmes mains que son père. De lui, elle ne recevra comme réponse à ses nombreuses lettres qu'une enveloppe vide.