Isela Gonzales, 63 ans, Mexique «La police s'est montrée incapable d'arrêter les tueurs»
«Les attaques contre les défenseurs de l’environnement au Mexique ont fortement augmenté pendant ces dernières années. Elles vont du harcèlement aux persécutions et menaces, et jusqu’aux assassinats. Selon un rapport du Centre mexicain du droit environnemental (Cemda), les années 2016 et 2017 ont vu des records du nombre de meurtres. Rien que dans ma région de la Sierra Tarahumara, située dans l’Etat de Chihuahua, dans le nord du Mexique, neuf activistes autochtones ont été tués entre 2013 et 2017. Six étaient des membres de la communauté de Coloradas de la Virgen et trois de celle de Choréachi. Tous étaient des autochtones tarahumaras.
«A mon avis, cette augmentation des agressions et assassinats est due à la multiplication des expropriations de terres autochtones, notamment par des chefs de guerre métisses, à l’implantation de projets d’extraction, forestiers et miniers et à l’insécurité et la violence due à la présence de narcotrafiquants dans la région. Moi-même, j’ai reçu plusieurs menaces de mort car j’aide les communautés qui défendent leurs terres à travers l’alliance Sierra Madre. Nous sommes intégrés à un mécanisme de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes, mais cela ne suffit pas à garantir notre sécurité car les moyens mis en place par le gouvernement fédéral ne sont pas efficaces. Par ailleurs, la police s’est montrée incapable de mener les arrestations contre les tueurs. Surtout, nous souffrons du manque de coordination entre la police fédérale et celle de la région.»
Ramon Bedoya, 18 ans, Colombie «J'ai repris la lutte de mon père contre les grandes entreprises»
«Je vis dans la région du Choco, dans le nord-ouest de la Colombie. Mon père, qui était un grand défenseur des droits de l'homme, cofondateur des associations Aflicoc et Compas qui regroupent des victimes du conflit armé, a été assassiné le 8 décembre 2017. Ce sont des hommes appartenant à des groupes paramilitaires, en lien avec les grandes entreprises agroalimentaires et qui opèrent dans la région, qui l'ont tué parce qu'il luttait contre l'accaparement de nos terres. Actuellement, les gens vivent dans la peur. Alors j'ai repris sa lutte contre les grandes entreprises et investisseurs européens qui soutiennent des projets illégaux de plantation d'huile de palme, de bananes plantains et de manioc. Nous voyons tous les jours les liens qui existent entre des groupes paramilitaires payés par certaines entreprises de l'agroalimentaire et le groupe guérillero ELN (Ejército de liberación nacional, ou Armée de libération nationale), dissident, actif dans notre région.
«Depuis l’accord de paix, la situation s’est aggravée. Auparavant, les Farc occupaient ces terres. Maintenant, les terrains sont disputés entre les paramilitaires et l’ELN. Cela cause plus de déplacements et d’insécurité pour les populations. Ces migrations forcées ont commencé dans les années 90, pendant le conflit armé. L’agrobusiness en a profité pour s’étendre et s’approprier les terres. Les paramilitaires payés par ces entreprises forcent parfois les habitants à vendre illégalement leurs terres. L’expansion de la monoculture des bananes plantains et d’huile de palme a aussi un gros impact sur l’environnement. Elle assèche et pollue les cours d’eau qui servaient à nous abreuver, et participe à la déforestation massive. Pour lutter contre ces abus, ma communauté a créé son propre collège qui enseigne la vision de nos ancêtres de la nature, et des techniques pour protéger l’environnement.»