La nuit fut longue au Pakistan, et le pays se réveille en déroute. Alors que les bureaux de vote ont fermé à 18 heures mercredi après-midi après un scrutin à haute tension, le décompte des voix n’est toujours pas terminé. Seule la moitié des bulletins auraient été comptés au bout de treize heures. Ce qui n’empêche pas les supporteurs du candidat d’Imran Khan de fêter leur victoire. Le parti sortant, lui, a déclaré qu’il rejetterait les résultats pour cause de fraude.
Le retard expliqué par des «problèmes techniques» liés à l'utilisation d'un nouveau logiciel d'après la Commission électorale pakistanaise (ECP). Mais il alimente encore plus les soupçons de triche. Le chef de la PML-N, Shahbaz Sharif, frère de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif emprisonné pour corruption, a dénoncé dès hier soir «des fraudes si flagrantes que tout le monde s'est mis à pleurer». Et avant même les premiers résultats partiels, la PML-N a annoncé qu'elle rejetait «intégralement» les résultats de l'élection. Et ce, alors que les premiers résultats non officiels donnaient le parti rival, le PTI d'Imran Khan, en tête. L'héritière britannique Jemima Goldsmith, ex-femme de l'ancien champion du monde de cricket, a même twitté «le père de mon fils est le prochain Premier ministre».
22 years later, after humiliations, hurdles and sacrifices, my sons’ father is Pakistan’s next PM. It’s an incredible lesson in tenacity, belief & refusal to accept defeat. The challenge now is to remember why he entered politics in the 1st place. Congratulations @ImranKhanPTI
— Jemima Goldsmith (@Jemima_Khan) July 26, 2018
Vote endeuillé
Toute la journée de mercredi, les électeurs de ce pays de 207 millions d’habitants étaient appelés aux urnes pour désigner leurs députés et le prochain Premier ministre. Un scrutin sous très haute tension, après des mois de rebondissements politiques. Dès le matin, malgré les 800 000 policiers et militaires déployés, le vote a été endeuillé par un attentat suicide près d’un bureau de vote à Quetta, dans la province du Baloutchistan. Revendiqué par l’Etat islamique, il a fait au mois 31 morts et 70 blessés.
L’attaque n’a pas empêché les 106 millions d’électeurs, dont un sur cinq votait pour la première fois, de se rendre en masse dans les bureaux, patientant, dans des files séparées entre hommes et femmes.
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Pour la première fois, l'ancienne star de cricket Imran Khan, qui s'est lancé dans la politique il y a plus de vingt ans à la tête du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), a une chance de l'emporter. L'ancien play-boy international, fraîchement uni à une voyante pakistanaise, a su rallier une partie de l'opinion publique avec son programme axé sur la lutte anticorruption, un fléau dans le pays.
Une autre partie des électeurs est au contraire vent debout contre l’homme qui a montré par le passé des sympathies pour les extrémistes religieux, et qui pourrait avoir bénéficié du soutien en sous-main de la puissante armée pakistanaise. L’ancien champion du monde s’est fait remarquer mercredi en violant le règlement électoral deux fois, pénétrant en voiture dans l’enceinte de son bureau de vote, puis brandissant son bulletin devant les caméras.
Censures et menaces
En face de lui, Shahbaz Sharif, chef du parti PML-N (Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz), espère conserver la majorité malgré le scandale lié à l'emprisonnement pour corruption de son frère. Nawaz Sharif avait été destitué l'été dernier de son poste de Premier ministre. La PML-N n'a cessé ces derniers mois de dénoncer un complot mené contre lui par les militaires, qui ont longtemps tenu les rênes du pays. De leur côté, des médias et des militants ont affirmé avoir été l'objet de censures et de menaces durant la campagne.
Dans l'après-midi, un tweet – désormais effacé – misogyne et méprisant de Sara Taseer, fille d'un gouverneur du Penjab assassiné en 2011 et supportrice du candidat Imran Khan, avait cruellement pointé mercredi le gouffre qui sépare l'élite fortunée du Pakistan et les zones rurales. Sous une montrant des électrices patientant devant un bureau de vote d'un coin reculé du Baloutchistan, elle avait commenté : «Heureuse du nombre de femmes qui participent à l'élection, mais je me demande si j'autoriserais ces dames à décider de ce qui va être cuisiné chez moi aujourd'hui. Et elles vont décider du futur de la nation. Effrayante pensée».
Le troisième parti en lice, le Parti du peuple pakistanais (PPP) de centre gauche mené par Bilawal Bhutto Zardari, fils de l’ex-Première ministre assassinée Benazir Bhutto, pourrait être appelé à former une coalition avec le vainqueur. Les résultats devraient être connus en fin de soirée. Une victoire du populiste Imran Khan, au caractère imprévisible et à l’expérience politique limitée, ouvrirait une ère nouvelle mais incertaine pour le pays. Depuis l’indépendance du Pakistan, en 1947, pas un seul Premier ministre n’est arrivé au bout de son mandat de cinq ans.