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Imran Khan : un champion populiste prend la tête du Pakistan

Malgré les contestations des autres partis en lice, qui dénoncent des fraudes, l’ex-play-boy du cricket a revendiqué sa victoire aux législatives, jeudi.
Imran Khan, mercredi à Islamabad. (Photo Aamir Qureshi. AFP)
publié le 26 juillet 2018 à 19h00

C’est un peu comme si Cristiano Ronaldo devenait Premier ministre. Vingt-six ans après avoir offert au Pakistan sa seule victoire en Coupe du monde de cricket, Imran Khan a remporté mercredi les élections générales. Et enfilé pour la seconde fois son costume préféré, celui de héros national. Le Pakistan, deuxième pays musulman au monde avec 207 millions d’habitants, se retrouve donc avec un ancien play-boy international à sa tête. A 65 ans, les excès ont eu raison de ses traits ravageurs. Les nuits en boîte avec Mick Jagger ne sont plus qu’un souvenir, comme son mariage avec une héritière britannique d’origine juive qui faisait les ­délices de la presse people. L’homme chante désormais les vertus de la charia et vient de se marier pour la troisième fois avec une voyante qui porte le voile.

 Attentat

Le succès du centre anticancéreux qu'il a fondé, et qui soigne gratuitement les pauvres, a touché les cœurs. Mais c'est surtout sa croisade anticorruption qui lui a permis de rallier les votes des jeunes et des villes. Comme celui de Yasir Hussain, 30 ans, qui étudie les ­relations internationales à ­Islamabad. «Imran Khan s'est battu seul contre la corruption pendant plus de vingt ans. C'est un homme honnête et dévoué, avec une vision pour notre pays, s'enthousiasme le jeune homme, ­contacté par messagerie. Il prend le changement clima­tique au sérieux et ne cache pas son admiration pour la méritocratie et l'Etat de droit. Mais l'attente est grande et les problèmes immenses.»

D’abord marquée par un ­attentat sanglant près d’un bureau de vote à Quetta, la journée électorale de mercredi s’est éternisée à cause d’énormes retards dans le décompte des voix. Ce qui n’a pas empêché les supporteurs du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) de danser dans la rue le soir même.

Triche

Avant la tombée des premiers résultats, le chef de la puissante ­Ligue musulmane (PML-N), Shahbaz Sharif, dénonçait «des fraudes si flagrantes que tout le monde s'est mis à pleurer», et a annoncé qu'il rejetait les résultats. Jeudi, Imran Khan a ­revendiqué la victoire, sans qu'on ­sache si le PTI sera ­majoritaire ou aura besoin de former une coalition pour gouverner.

Tous les autres partis crient pourtant à la triche. Le processus électoral a été entaché par la présence, mercredi soir, dans tous les ­bureaux de vote, de représentants de l'armée qui ont fait sortir les observateurs des partis au moment du dépouillement, au mépris de la Constitution. Pour le chercheur Christophe Jaffrelot, auteur du Syndrome pakistanais, l'immixtion de la très puissante ­armée pakistanaise, qui a dirigé le pays jusqu'en 2008, était prévisible : «Le but des militaires était d'éviter que Nawaz Sharif ait un deuxième mandat et qu'un pouvoir civil fort s'installe au Pakistan. On est sorti de la démocratie libérale pour tomber dans une forme de mascarade.» Imran Khan a balayé les ­accusations, mises sur le compte des «médias indiens».

Sa première aubaine, il la doit au Consortium international des journalistes d’investigation. En 2016, l’opinion publique découvre au milieu des Panama Papers que la famille de Nawaz Sharif, alors Premier ministre, s’était payé cinq appartements luxueux à Londres dans les années 70. Sharif est destitué, puis emprisonné. Le clan Sharif tremble mais ne tombe pas. Le frère, Shahbaz, prend la tête du parti, tandis que le fils devient gouverneur du Pendjab. Le culot de la famille irrite les Pakistanais, qui projettent sur Imran Khan leur rêve de changement. Le Parti du peuple pakistanais (PPP), formation historique de centre gauche conduit par Bilawal Bhutto Zardari, fils d’une ancienne Première ministre assassinée, qui arrive bon troisième, fait aussi les frais du «dégagisme» des dynasties.

Tape-à-l’œil

Pourtant, l'homme qui promet «un nouveau Pakistan» n'est pas un modèle d'intégrité. Il partage avec Donald Trump la ­richesse et la célébrité, le narcissisme et l'amour des réseaux sociaux, mais aussi l'inconstance, le populisme et l'inexpérience politique. Les très médiocres résultats de son parti, qui dirige depuis 2013 la province du Khyber Pakhtunkhwa en coalition avec le parti islamique Jamaat-i-Islami, laissent sceptique sur sa capacité à «vaincre la corruption et le terrorisme en quatre-vingt-dix jours», comme il l'a promis. Et ses flirts répétés avec les extrémistes lui ont aussi valu le surnom de «Taliban Khan». Mais selon Jaffrelot, l'ampleur de ces contradictions ne dérange pas ses électeurs de la classe moyenne : «Comme lui, ils sont d'un côté attirés par la modernité et la liberté, et de l'autre se raccrochent à des traditions réaffirmées au nom du nationalisme ethno­religieux devenu un idiome ­universel.»

Dans son premier discours mis en ligne sur le Web, l'ex-champion, qui vit dans une immense propriété tape-à-l'œil avec parc et piscine sur les hauteurs d'Islamabad, a promis de défendre la veuve et l'orphelin, de redresser l'économie «tombée dans les abîmes», de réformer le système de santé et l'éducation. Un joli discours, jusqu'à ce qu'il déclare au sujet de la résidence du Premier ministre : «J'aurais honte de ­vivre dans une si grande maison. Elle sera convertie en école.»