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Libération
Billet

Jean-Claude Juncker, un président plus allemand qu'européen

Jean-Claude Juncker et Donald Trump, à Washington, mercredi. (Photo Saul Loeb. AFP)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 26 juillet 2018 à 18h22

«C'est un grand jour pour l'Europe», s'est rengorgé Alexander Winterstein, l'un des porte-parole de la Commission. Pour lui, l'affaire est entendue : Jean-Claude Juncker, le président de l'exécutif européen, a réussi à convaincre le président américain de ne pas taxer les importations de voitures européennes lors de leur rencontre à Washington, mercredi. Il est ainsi parvenu à éviter une guerre commerciale totale, et ce, au prix de concessions mineures. Un revirement pour le moins étonnant de la part d'un homme qui rangeait l'Union au rang des ennemis des Etats-Unis il y a quelques jours encore. Tellement étonnant que l'on peut se demander ce qui s'est réellement passé à Washington : pour éviter une guerre, Juncker n'aurait-il pas cédé beaucoup sans aucune garantie en retour ?

Jusque-là, l’Union européenne s’était montrée unie face aux coups de menton de Trump, n’hésitant pas à déclencher des mesures de rétorsion après l’imposition de droits de douane élevés sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10 %) européens. Mais le président américain, en menaçant de s’attaquer aux importations automobiles, a touché une corde sensible en Allemagne. En effet, pour l’essentiel, les importations européennes aux Etats-Unis sont en fait des importations allemandes. D’ailleurs, à Paris, on s’inquiétait depuis plusieurs semaines de la détermination de Berlin à résister à Trump…

Or l'accord obtenu par Juncker (et négocié par l'Allemand Martin Selmayr, son chef de cabinet, secrétaire général et sherpa, proche de la CDU, et l'Américain Lawrence Kudlow) ressemble davantage à une capitulation qu'à une négociation d'égal à égal. En effet, les tarifs frappant l'acier et l'aluminium européen ne sont pas levés, l'administration américaine se contentant de promettre qu'elle ne frappera pas les automobiles d'un droit de douane de 25 % tant que les négociations se poursuivront. Des négociations qui vont porter sur l'élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires (les normes) aux échanges de biens industriels. La Commission s'est aussi engagée à ce que l'Europe achète, «massivement» selon Trump, du soja et du gaz de schiste aux Américains. Un engagement pour le moins curieux puisque ce n'est ni de la compétence de la Commission ni de celles des Etats d'imposer de tels achats aux entreprises…

Le soulagement, côté allemand, a été immédiat. À Paris, en revanche, on se montre beaucoup plus circonspect : «Une bonne discussion commerciale […] ne peut se faire sous la pression», a réagi Bruno Le Maire, le ministre des Finances. Ce qui n'est pas précisément le cas, puisque Juncker donne le sentiment de valider la «méthode Trump», comme le note un diplomate : «On a un revolver sur la tempe, puisque les tarifs sur l'automobile peuvent être déclenchés à tout moment si on arrête de négocier ou si Trump n'est pas satisfait.»

De même, Bruno Le Maire s'interroge sur la «réciprocité» : dans l'accord négocié par Juncker – alors même que celui-ci n'avait aucun mandat des Etats pour signer un texte écrit, ce qui pose un sérieux problème démocratique – il n'est fait nulle part mention des sujets européens, notamment celui de l'accès aux marchés publics américains protégés par le «Buy American act». Pire : les normes européennes (environnementales, sanitaires, techniques, etc.) semblent faire partie de la négociation… Bref, beaucoup se demandent à quel jeu joue la Commission, si ce n'est celui des constructeurs automobiles allemands.