Des avions de l'armée pour le ravitaillement en nourriture et médicaments, des pénuries d'essence, une ambiance de «guerre civile», voilà le scénario prévu par certains au Royaume-Uni en cas de «no deal»,d'absence d'accord sur le Brexit. Plus d'un an après le début des négociations et deux ans après le référendum, le gouvernement britannique n'arrive toujours pas à trouver une entente sur les conditions du Brexit. Un jour accusée d'être trop conciliante envers l'Union européenne puis le lendemain de proposer un Brexit trop dur, Theresa May n'entrevoit pas de sortie aux négociations au sein même de son cabinet.
Mais tandis que le Parlement est en pause estivale et la Première ministre britannique en vacances en Italie, les brexiters, eux, ne prennent pas de repos. Jacob Rees-Mogg, député ultraconservateur, estime que le gouvernement tente d'effrayer les électeurs afin qu'ils soient plus conciliants sur les termes du Brexit. Steve Baker, ancien secrétaire d'Etat au Brexit qui a démissionné début juillet, se ditlui «très préoccupé par la stratégie de communication du gouvernement autour du no deal».Il réclame également la publication d'un rapport, commandé lorsqu'il était en poste, sur les conséquences d'un no deal pour chaque membre de l'UE et pas seulement le Royaume-Uni.
Ces réactions surgissent alors que le gouvernement avait promis de publier pendant l'été des documents expliquant les conséquences d'un Brexit sans accord. Finalement, la publication aura lieu fin août ou début septembre. Mais des informations auraient déjà fuité préconisant le déploiement de l'armée comme l'une des solutions pour parer aux pénuries en Grande-Bretagne après le 29 mars 2019, date officielle de la sortie de l'Union européenne. Des propos démentis par un porte-parole du ministère en charge du Brexit : «Ces fuites concernant l'armée sont des spéculations infondées et ne font pas partie de nos plans.» En revanche, le gouvernement confirme bien se préparer à tous les scénarios : «Nous restons confiants et pensons que c'est dans l'intérêt du Royaume-Uni et de l'Union européenne de trouver un accord. Dans le même temps, nous faisons des préparatifs pour qu'en cas de scénario sans accord nous puissions réagir correctement», précise le porte-parole. L'absence d'accord annulerait la période de transition prévue jusqu'à décembre 2020 et sous-entend donc que le pays devrait se soumettre aux tarifs de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), moins avantageux que ceux négociés au sein de l'UE.
Désastreuses
Selon une étude publiée par Food Foundation, un think tank spécialisé dans l'alimentaire, le budget pour une famille de quatre personnes qui mange - comme recommandé - cinq fruits et légumes par jour passerait de 37,58 à 39,76 livres sterling par semaine (42,12 euros à 44,57 euros) affectant ainsi les foyers les plus modestes. Si les ennemis de Theresa May parlent d'un «Project fear» ou «Projet peur» en référence à la campagne des pro-européens avant le référendum que les partisans du Brexit estimaient basée sur ce sentiment, certaines craintes semblent pourtant bien réelles.
Selon Erik Millstone, professeur à l'université du Sussex et expert en politique alimentaire, les conséquences d'un no deal pourraient bien être désastreuses : «Il y a vingt ou vingt-cinq ans, les revendeurs avaient environ une semaine ou dix jours de stocks, mais aujourd'hui ils n'ont qu'un jour et demi ou deux donc c'est tout à fait réaliste de penser qu'il y aura des pénuries.» Le problème vient surtout des produits périssables dont le Royaume-Uni est très dépendant comme les fruits et légumes ou encore les produits laitiers.
La capacité de stockage insuffisante du pays à l'heure actuelle est aussi problématique. «Si le gouvernement avait envisagé ce scénario dès le vote de 2016, il aurait pu s'organiser, mais maintenant c'est trop tard d'ici à mars 2019», explique Erik Millstone. En effet, pour éviter de voir des files interminables de camions bloqués aux frontières pour les contrôles, il faut des infrastructures plus importantes et du personnel supplémentaire. Une logistique quasi impossible à mettre en place dans les huit prochains mois. Même si le pays utilise déjà les règles de l'OMC pour ses échanges avec les Etats-Unis ou la Chine par exemple, plus de 30 % des produits alimentaires consommés au Royaume-Uni viennent de l'UE.
Le secteur alimentaire n'est pas le seul qui pourrait être touché par le no deal. En plus de la crainte de voir une pénurie d'infirmiers et de médecins issus de l'Union européenne, les approvisionnements en médicaments pourraient aussi être affectés.
Cité dans la revue The Pharmaceutical Journal, Michael Rawlins, président de l'Agence de réglementation de la médecine et des produits de santé (MHRA), alerte : «Prenez juste un exemple : on ne produit pas d'insuline au Royaume-Uni. On importe chaque goutte. Vous ne pouvez pas transporter l'insuline n'importe comment car elle doit être conservée à une température spécifique et 3,5 millions de gens ont besoin d'insuline, y compris la Première ministre». Il ajoute que le pays «ne peut pas soudainement»en produire.
Les conséquences économiques d'un no deal sont encore difficiles à évaluer, mais selon Georgina Wright, il s'agira certainement d'un «choc». La chercheuse spécialiste du Royaume-Uni et de l'Union européenne au think tank Chatham House à Londres décrit trois phases dans le processus de Brexit : le retrait, la période de transition et l'accord final. Selon elle un no deal est encore évitable à cause de la pression politique côté britannique et côté européen. Mais en cas de no deal, l'impact économique serait conséquent : «L'OMC ne couvre pas en détail le commerce et les services, qui représentent un secteur très important au Royaume-Uni. C'est difficile d'évaluer qui sera touché, les vendeurs, les consommateurs et aussi sur quelle période. Quoi qu'il en soit, l'incertitude n'est jamais bonne pour les marchés. Jusqu'ici, aucun pays ne s'est encore retrouvé dans ce genre de situation.»
L'autre risque est que des pays tiers attendent les accords commerciaux que le Royaume-Uni conclura avec l'UE avant de se lancer dans des négociations. L'une des solutions pour éviter ces scénarios catastrophes serait donc de rester dans l'union douanière ou le marché unique. Le hic, c'est que ce sont justement ces sujets qui bloquent auprès des partisans d'un Brexit «dur».
Depuis deux ans, le Brexit semble tourner à la crise politique à chaque occasion. La dernière, c'était début juillet, lorsque le gouvernement s'était mis d'accord sur le «plan de Chequers», délivrant enfin une proposition à donner à Bruxelles. Mais deux jours plus tard, le ministre en charge du Brexit, David Davis, puis le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, donnaient leur démission. Theresa May n'a pas lâché, faisant quelques concessions à ses collègues conservateurs les plus eurosceptiques. Dans ce plan, elle y proposait un accord douanier simplifié, rejeté par le négociateur européen en chef, Michel Barnier.
A la barre
C’est donc un retour à la case négociations qui devra s’engager à la fin de la pause estivale du gouvernement britannique. Cette fois-ci, il faudra trouver une solution viable, car le temps presse. Lors du sommet européen des 18 et 19 octobre, le Royaume-Uni devra présenter son accord de retrait avant la sortie définitive de l’UE.
En attendant, les Britanniques commencent à s’inquiéter et surtout à s’impatienter. Selon un récent sondage de Sky News, les trois quarts des personnes interrogées pensent que Theresa May et le gouvernement gèrent mal le Brexit, et la moitié d’entre elles estiment que ce dernier sera une mauvaise chose pour le pays. C’est pourtant, comme elle le répète souvent, à elle que le job de sortir le pays de l’Union européenne a été confié. Malgré la pression de ses collègues conservateurs qui la menacent à chaque montée de fièvre de provoquer un vote de défiance, c’est elle qui est à la barre du bateau Brexit. La question reste maintenant de savoir si elle arrivera à sauver le navire du pire, un Brexit sans accord, ou si le naufrage, dans ce contexte de politique interne, est inévitable.