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Analyse

Ryanair : les coups bas d’une compagnie à bas coût

Des pilotes allemands du transporteur aérien menacent de se mettre en grève si la direction ne leur accorde pas de meilleures conditions de travail. Le conflit pourrait s’étendre dans plusieurs pays d’Europe : les salariés refusent de faire les frais de la stratégie du low-cost à tout prix.
A l’aéroport de Charleroi, près de Bruxelles, le 25 juillet. Des personnels de bord de la compagnie ont fait grève pour bénéficier du droit du travail du pays où ils sont employés. (Photo Polet. Réa)
publié le 5 août 2018 à 19h46

Un ultimatum pour de meilleures conditions de travail. Les pilotes allemands de la compagnie low-cost Ryanair ont donné jusqu’à ce lundi, à leur direction, pour obtenir de réelles propositions en matière d’amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération. La probabilité est assez grande qu’ils n’obtiennent pas de réponse, ce qui pourrait entraîner une journée de grève, le vendredi 10 août, à laquelle se joindraient les pilotes belges, suédois et néerlandais.

Cette bronca ressemble, à s'y méprendre, à une sérieuse remise en cause du modèle économique de la compagnie irlandaise à bas coûts. Pour la première fois, les 25 et 26 juillet, un mouvement de grève de deux jours du personnel de cabine dans plusieurs pays européens (Belgique, Espagne, Portugal et Italie) a été massivement suivi, causant l'annulation de 600 vols et affectant 100 000 passagers. Les hôtesses et les stewards, qui réclament de se voir appliquer le droit du travail du pays où ils sont employés et non celui de l'Irlande, quelle que soit leur base d'affectation en Europe, sont mécontents de la manière dont ils exercent leur métier : obligation de payer sa formation, rémunération limitée aux heures passées en vol, nettoyage et entretien des appareils lors des escales, etc. «Ce mouvement vise à la fois nos conditions de travail et les rémunérations des plus jeunes recrues dont le salaire mensuel est compris entre 800 et 900 euros», indique, à Libération, un steward basé en Belgique.

PDG va-t-en-guerre

Après le coup de semonce de juillet, la grève menace de faire tache d'huile. Aux Pays-Bas, l'association des pilotes (VNV) organise un référendum auprès de ses membres pour obtenir l'aval de sa base, et son pendant allemand (Vereingung Cockpit) envisage de mettre en place une procédure similaire. Une multiplication inédite de mouvements sociaux au sein de la compagnie irlandaise, quasi inexistants jusqu'ici chez le leader européen du transport aérien low-cost depuis sa création, en 1984. Ce malaise social fragilise la compagnie au moment où elle se trouve confrontée à une hausse de ses coûts en raison de revalorisations salariales et de l'augmentation du kérosène (+ 118 millions d'euros au premier trimestre) avec pour résultat une chute de 22 % de son bénéfice au deuxième trimestre, à 309 millions d'euros. Un retournement sanctionné par la Bourse, où le cours de l'action a perdu 20 % de sa valeur depuis son pic d'août 2017. Michael O'Leary, le très va-t-en-guerre PDG de la compagnie, n'a pas caché son pessimisme. «Même si nous maintenons des contacts actifs avec les syndicats de pilotes et de personnels navigants à travers l'Europe, a-t-il expliqué, nous nous attendons à de nouvelles grèves au moment du pic de la période estivale.»

Comme à son habitude, la compagnie a réagi par la manière dure. La poursuite des grèves devrait l’amener à revoir à la baisse ses prévisions de trafic pour l’hiver prochain. A la clé, moins d’avions en service, donc moins d’emplois. Une menace déjà mise à exécution fin juillet : Ryanair va réduire de 30 à 24 le nombre de ses appareils basés à Dublin pendant la période hivernale. Ce qui représente une perte d’emploi potentielle pour 100 pilotes et 200 hôtesses et stewards.

«Aucune compensation»

Pour autant, les salariés se disent prêts à aller jusqu'au bout. La direction semble, pour le moment, hermétique à leurs demandes. «Ces grèves n'ont aucune justification et aucun autre but que de gâcher les vacances familiales et bénéficier à d'autres compagnies», a réagi le directeur marketing de Ryanair, Kenny Jacobs, selon lequel le personnel de cabine dispose d'un bon salaire, «jusqu'à 40 000 euros annuels, avec de bonnes commissions sur les ventes» réalisées à bord des appareils pendant les vols. Libération a demandé à la direction de Ryanair ce que serait sa position durant les semaines à venir. La compagnie s'est refusée à tout commentaire.

Dans l'immédiat, ce sont les clients du transporteur qui font les frais de ces perturbations. Certains passagers dont les vols ont été annulés n'ont pas eu droit à une indemnisation, a révélé France 3, qui a mené l'enquête à l'aéroport de Beauvais (dix vols annulés), dans l'Oise, où Ryanair représente 80 % du trafic. «En vertu de la législation EU 261, aucune compensation n'est due lorsque le syndicat agit de manière déraisonnable et totalement hors de contrôle de la compagnie aérienne. Si cela était sous notre contrôle, il n'y aurait pas d'annulations», a justifié la compagnie, selon laquelle les vols supprimés ont été le fait de «circonstances extraordinaires».

Ces conflits à répétition commencent à peser sur son activité. Ryanair, qui anticipe une croissance de 1 % en 2018 contre 4 % précédemment, attribue cette stagnation à une concurrence plus vive en Europe. Chaque grande compagnie a désormais son transporteur low-cost, à l'image de Transavia en France et aux Pays-Bas pour Air France-KLM (lire ci-contre), de Germanwings pour Lufthansa ou Vueling pour British Airways. Pour Michael O'Leary, qui a annoncé une moindre hausse que prévu du prix moyen du billet durant la saison estivale, «la Coupe du monde, la vague de chaleur en Europe du Nord et les incertitudes au sein de la clientèle au sujet des grèves de pilotes» vont peser sur les résultats. D'où sa volonté d'opérer des redéploiements vers des contrées où les coûts sont plus faibles. La compagnie compte ainsi proposer plus d'emplois en Pologne, où elle dispose d'une base.

«Insécurité permanente»

Toutefois, après avoir longtemps refusé de reconnaître les syndicats, Ryanair a fini par engager des négociations avec eux dans plusieurs pays, contraint d'opérer des rattrapages de salaires comme dans nombre d'autres compagnies qui bénéficient du dynamisme retrouvé du trafic. Selon le SNPL, le syndicat des pilotes majoritaire en France et chez Air France, qui soutient les mouvements en cours, la société a été confrontée à une «fuite de ses personnels», ce qui a contraint Ryanair à négocier des augmentations de salaires, de 20 % avec ses pilotes. «Les trois quarts sont en autoentrepreneurs, explique Karine Gély du SNPL national. Ce sont des pilotes qui sont en insécurité permanente, qui ne savent pas si le lendemain ils vont travailler, ni où ils vont travailler. Car bien souvent ils vont être basés dans un aéroport, mais le lendemain ils seront envoyés travailler à partir d'une autre base européenne, où ils devront s'acheminer tout seuls.»

En dépit des difficultés du moment, Ryanair demeure une compagnie extrêmement rentable. Malgré 2 500 annulations de vols liées à des grèves de contrôleurs aériens dans plusieurs pays, dont la France, le trafic de passagers a augmenté de 7 %, à 37,6 millions sur le dernier trimestre. Elle vient, par ailleurs, de confirmer qu’elle visait un bénéfice annuel compris entre 1,25 et 1,35 milliard d’euros cette année, contre un bénéfice record de 1,45 milliard sur l’exercice précédent, dans la fourchette des anticipations de la Bourse. Si son modèle a du plomb dans l’aile, Ryanair entend bien le défendre jusqu’au bout. Quitte à devoir faire face à une multiplication des mouvements sociaux dans les prochains mois.