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Libération
Extrême droite

Etats-Unis : un an après Charlottesville, les suprémacistes font chou blanc

Seule une petite trentaine de militants d’extrême droite a défilé dimanche à Washington. Et pour cause : il y a un an, en Virginie, les violences et les dérapages racistes à visage découvert s’étaient retournés contre eux.
Jovi Val, leader du mouvement «The Modern Patriots», dimanche à Washington. (Photo Nina Berman. Noor)
publié le 13 août 2018 à 19h26

Il y a bien les hélicoptères qui font du surplace dans le ciel gris plombé de ce dimanche orageux, à Washington. Il y a quantité de policiers. Des centaines de contre-manifestants et des caméras du monde entier. Mais diable, où sont les manifestants de «Unite the Right», le rassemblement d’extrême droite organisé à l’occasion du premier anniversaire des violences de Charlottesville, censés être au centre de tout ce dispositif ?

«Regarde-les ! Ils se cachent derrière les policiers !» lance soudain T., un quadragénaire membre de la section locale de Black Lives Matter, en montrant du doigt un petit groupe d'individus escortés. A peine le temps de voir une pancarte «White Lives Matter» («Les vies blanches comptent») et deux drapeaux des Etats-Unis que la poignée de manifestants est déjà passée derrière des barrières en métal et le cordon policier, sous la pluie et les huées des militants antiracistes. Ils sont moins de 30 à avoir fait le déplacement dans la capitale fédérale pour «protester contre les violations des droits civiques à Charlottesville», selon les mots de son organisateur, le suprémaciste Jason Kessler. «Pathétique», résume T.

«Cauchemars». Elle semble loin, la démonstration de force de l'an passé. Le 12 août 2017, un millier de néonazis, suprémacistes ou nationalistes blancs s'étaient rendus à Charlottesville (Virginie) pour dénoncer le projet de la municipalité de déboulonner la statue du général sécessionniste Robert E. Lee. Armés, brandissant des drapeaux confédérés ou des torches, ils avaient scandé des messages racistes et antisémites. Une voiture bélier conduite par un suprémaciste blanc avait foncé dans la foule de contre-manifestants, tuant une jeune femme, Heather Heyer, et blessant une trentaine de personnes.

Dans sa course, il a heurté aux genoux Constance Paige, 35 ans. Elle fait désormais partie des organisateurs de «DC Against Hate», la plateforme qui pilotait les contre-manifestations de dimanche. «Je ressens un mélange compliqué d'émotions, confie-t-elle. Je fais encore beaucoup de cauchemars, et franchement, ce n'est pas facile d'être ici. Mais je m'y sentais obligée. Et puis, on n'est pas là pour donner de l'importance aux nazis, mais pour célébrer notre résistance. Montrer qu'en tant que nation, on peut être meilleurs que cette rhétorique de haine. Voir autant de monde se mobiliser me donne beaucoup d'énergie.»

Leaders religieux, enseignants, membres de Black Lives Matter ou militants antifascistes habillés en noir et au visage masqué : la foule se met en marche vers Lafayette Square, le parc qui jouxte la Maison Blanche et où doivent se rassembler les manifestants. Pendant la longue attente, alors que l'orage gronde, la tension monte entre contre-manifestants et policiers. Dans le cortège, beaucoup de pancartes font écho aux fantômes de l'esclavage, de la ségrégation, du Ku Klux Klan. «No hoods in my hood» («Pas de capuche dans mon quartier»), proclame l'une d'elles.

Mais cette fois-ci, en face, point de chants nazis ou de défilés d'armes et de flambeaux. La manifestation Unite the Right semble même s'être achevée avant d'avoir commencé : les deux douzaines de manifestants se sont évaporées avant l'heure officielle. Alors que tout le monde se disperse, Brandon, 22 ans et «sympathisant Black Lives Matter», se réjouit : «Je me demandais si les événements de l'an dernier avaient galvanisé ou anéanti le mouvement. Visiblement, c'est la deuxième option.»

Golf. Tout en rappelant que les crimes haineux sont en constante augmentation, ceux qui surveillent les mouvements d'extrême droite avaient anticipé la débâcle de dimanche. A l'instar de Heidi Beirich, du Southern Poverty Law Center : «Les conséquences de Charlottesville ont été extrêmement négatives pour eux. Beaucoup sont sous le coup de poursuites pénales ou de procès au civil. Et ils ont perdu leurs principaux moyens de financement : des plateformes comme PayPal ont supprimé leurs comptes. Charlottesville leur a coûté très cher, dans tous les sens du terme.»

Ces dernières semaines, plusieurs figures d'extrême droite s'étaient désolidarisées de la manifestation. Après Charlottesville, où le groupe avait, à visage découvert, livré sa parole raciste sans retenue devant les caméras, certains avaient été identifiés et avaient perdu leur emploi. A Washington, la plupart avaient dissimulé leur visage. «Beaucoup de ceux qui étaient au rassemblement de l'an dernier ont eu peur, a justifié Jason Kessler, cité par plusieurs médias américains. L'année dernière, ils étaient venus exprimer leur point de vue. Ils ont été attaqués. Et quand ils se sont défendus, ils ont été sanctionnés exagérément», a argué celui qui se voit comme l'avocat «des droits civiques de l'homme blanc opprimé», définit Heidi Beirich.

Donald Trump, en renvoyant dos à dos suprémacistes et antiracistes au lendemain de Charlottesville, avait scandalisé jusque dans son propre camp. Dimanche, en vacances dans son club de golf du New Jersey, il n'a pas regardé les manifestations devant la Maison Blanche. Mais avait tweeté la veille : «Je condamne toutes les formes de racisme et les actes de violence.» Prenant soin, une fois encore, de mettre tout le monde dans le même sac.

Photo Nina Berman. Noor