Avec Kofi Annan vient de disparaître une certaine idée de la diplomatie, policée, discrète, respectueuse du collectif et de l'individu, convaincue des vertus de la négociation et du multilatéralisme. En gros, confiante en la capacité de l'homme à combattre ses pires penchants. Il incarnait à la perfection l'Organisation des Nations unies qu'il a dirigée de 1997 à 2006 après y avoir fait l'essentiel de sa carrière.
«Avec ses racines africaines, son éducation britannique, son père haut-cadre dans une entreprise anglaise, sa femme suédoise et sa vie américaine, Annan porte la volonté du consensus comme une nécessité intérieure», écrivait en 2001 Pierre Hazan dans Libération. Fervent défenseur des droits de l'homme, et inlassable avocat de la paix, même quand il était trop tard comme en Syrie, Kofi Annan, dont on garde tous en mémoire la silhouette élégante et le visage à l'écoute, était un diplomate de la fin du XXe siècle égaré dans la folie de ce début de XXIe siècle. Il disparaît, à 80 ans, au moment où l'ONU apparaît plus affaiblie que jamais, dépassée par le retour des égoïsmes nationaux, la montée des extrêmes et la tentation du repli sur soi.
Nommé à la tête de l’ONU grâce au soutien de l’Amérique qui pensait en faire son obligé, Kofi Annan cherchera à s’émanciper de cette ombre tutélaire notamment au moment de la guerre en Irak qu’il cherchera vainement à empêcher, une guerre qu’il jugeait «illégale». Lauréat du prix Nobel de la Paix en 2001, il se montrera incapable, comme nombre de ses prédécesseurs ou successeurs lauréats (Shimon Pérès, Yitzhak Rabin, Yasser Arafat, Barack Obama), de faire appliquer ce qu’il professait à longueur de discours. Après avoir échoué à empêcher le génocide rwandais en 1994 et le massacre de Srebrenica en 1995 alors qu’il était chargé des opérations de maintien de la paix à l’ONU, il sera tout aussi incapable d’empêcher la Syrie de s’embraser aux premiers mois de la guerre civile.
Nommé le 23 février 2012 émissaire conjoint de l’ONU et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie, il jettera l’éponge quelques mois plus tard, lucide sur son absence totale d’autorité et de moyens politiques pour ramener les principaux protagonistes à la raison. Il appellera alors la Russie et l’Iran à s’impliquer dans la résolution du conflit sans imaginer que ces deux pays deviendraient les bras armés du président syrien, Bachar al-Assad.
À son actif, il a été un des premiers à alerter sur les conséquences dévastatrices du réchauffement climatique et des inégalités sociales, deux plaies du monde moderne, et à pointer du doigt la responsabilité de la mondialisation. Il avait fait sienne la devise de l'ancien président des Etats-Unis, Harry Truman, «la responsabilité des grands Etats est de servir et non pas de dominer les peuples», une formule qui n'a aujourd'hui jamais paru plus éloignée de la réalité du monde.