L'Amérique latine fait face à «l'un des plus grands mouvements humains de son histoire», déclarait début août le porte-parole du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, William Spindler. En l'espace de trois ans, ce sont près de 2,3 millions de Vénézuéliens qui ont fui la crise économique, sociale et politique de leur pays, selon le dernier décompte de l'ONU. Professeure en sciences politiques à l'Université du Pacifique (Pérou) et spécialiste de la crise migratoire vénézuélienne, Luisa Feline Freier avance, elle, le chiffre de 4 millions. La vague de migrants surpasse celle qui a touché l'Europe en 2015 et ses 1,4 million de réfugiés arrivés par la mer. Et la crise au Nicaragua n'a rien arrangé. Les Nicaraguayens, qui fuyaient jusque-là au Costa Rica (Amérique centrale), descendent de plus en plus au sud, assure Amnesty International, et viennent gonfler les rangs des réfugiés. L'Amérique latine est dépassée par l'ampleur du phénomène.
Heurts
Malgré les demandes de l’ONU et de l’Organisation des Etats américains (OEA), qui appellent les pays à accueillir des réfugiés en plus grand nombre, les Etats se replient sur eux-mêmes. L’Equateur a durci le contrôle de ses frontières et demande désormais aux Vénézuéliens de présenter un passeport au lieu d’une simple carte d’identité jusqu’ici. Une mesure extrêmement restrictive alors que l’obtention du précieux sésame au Venezuela relève aujourd’hui de l’exploit en raison de son coût exorbitant et de la corruption qui sévit dans le pays. Le Pérou et l’Argentine s’apprêtent à lui emboîter le pas.
La responsable Amériques d'Amnesty International, Geneviève Garrigos, dénonce une «crise politique» dans le sous-continent plus «inquiétante» encore que l'arrivée de migrants. «Il n'y a aucune mesure prise au niveau régional sur la question. Il n'y a pas de concertation entre les pays», souffle-t-elle. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), rattachée à l'ONU, a pris en charge la gestion des réfugiés. Mais si elle assure travailler «en étroite collaboration avec les gouvernements sud-américains», Luisa Feline Freier confirme «l'influence limitée» de l'organisation sur les Etats.
«C'est un peu le même processus qu'en Europe en 2015», analyse Geneviève Garrigos. «Les pays les plus conservateurs étaient jusqu'ici les plus accueillants, raconte Luisa Feline Freier, mais avec l'augmentation du nombre de réfugiés, l'opinion publique est devenue de plus en plus xénophobe. Ce changement s'est opéré en l'espace de quelques semaines.»
Des heurts ont ainsi éclaté en début de semaine dans des camps de migrants au Brésil, à la frontière avec le Venezuela : 1 200 Vénézuéliens ont été battus par des habitants de Pacaraima (nord) et contraints à rentrer chez eux. L’armée brésilienne a été déployée entre les deux pays.
Etape
Des tensions apparaissent un peu partout sur le continent. En première ligne, la Colombie, qui a déjà accueilli plus d’un demi-million de réfugiés depuis début 2017. Elle redoute de devoir subir les conséquences des fermetures des frontières de ses voisins. Déjà, et ce malgré un durcissement des contrôles, les ONG notent une hausse du nombre de Vénézuéliens clandestins sur le sol colombien. Coincés sur place, les réfugiés risquent de se faire exploiter par les paramilitaires et les narcotrafiquants qui contrôlent encore certaines zones frontalières… et de déstabiliser la région. Simple étape de passage sur la route des Andes qu’empruntent les migrants pour rejoindre le Chili ou l’Argentine, la Colombie pourrait bien devenir la nouvelle Grèce de l’Amérique du Sud.