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En Iran, Hassan Rohani dégaine un nouvel avion de combat

Le président iranien a loué le caractère dissuasif de ce nouvel appareil, destiné à l’armée de l’air et présenté mardi au moment où les tensions avec les Etats-Unis augmentent.
Hassan Rohani à bord du «Kowsar», le 21 août 2018. (AFP Photo. Ho. Iranian Presidency)
publié le 22 août 2018 à 11h02

Son turban blanc dépasse au-dessus de la carlingue tigrée. Assis à la place du pilote, le président iranien regarde avec intérêt les commandes de ce nouvel avion de chasse, vanté par Téhéran comme 100 % «made in République islamique». L’engin baptisé «Kowsar» a été dévoilé mardi, journée nationale de l’industrie de la Défense en Iran. «Certains pensent que lorsqu’on accroît sa force militaire, c’est qu’on cherche la guerre. Mais nous cherchons plutôt la paix et nous ne voulons pas la guerre», a justifié Hassan Rohani dans un discours télévisé.

«Si nous n'avons pas de moyens de dissuasion, cela donnera un feu vert aux autres pour entrer dans ce pays», a-t-il poursuivi, alors que les tensions avec les Etats-Unis ont augmenté depuis la violation de l'accord sur le nucléaire par l'administration Trump. En mai, la Maison Blanche avait annoncé son intention de rétablir des sanctions, menace mise à l'exécution début août.

Rohani n'a pas joué la surenchère, mardi, suivant l'exemple du Guide suprême. La semaine dernière, Ali Khamenei avait plaidé pour le «ni-ni», ni guerre, ni négociations avec Washington : «[Les Américains] exagèrent la possibilité de guerre avec l'Iran. Il n'y aura pas de guerre… Nous n'avons jamais commencé une guerre et ils n'affronteront pas l'Iran militairement.»

Sans les nommer, Rohani s'est aussi adressé aux plus belliqueux et radicaux qui contestent sa politique, jugée improductive : «Avec quelques phrases, on peut commencer un combat. Avec quelques actes militaires on peut entrer en confrontation, mais ça sera coûteux», a-t-il lancé, louant une protection du pays «à moindre coût». Protection que le nouvel avion de combat est censé renforcer.

Radars polyvalents

Selon Tasnim, l'agence de presse iranienne proche des Gardiens de la révolution (une organisation paramilitaire), «Kowsar» dispose d'équipements technologiques «de pointe», dont des radars polyvalents. La République islamique travaille depuis des années sur un appareil conçu et fabriqué en Iran. En 2013, Mahmoud Ahmadinejad avait exhibé «Qaher-313», alors présenté comme de «cinquième génération» et l'un des avions de combat «les plus avancés du monde».

L'annonce avait été accueillie avec scepticisme, comme le résume un récent rapport de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) : «[Qaher-313 est] un bon exemple de la propension de l'Iran à exagérer ses capacités. […] Le développement d'un véritable avion de combat de cette classe nécessiterait au moins deux décennies et des milliards de dollars d'investissement, en plus d'une industrie avancée de défense et d'aérospatial, comme en ont la Chine, la Russie ou les Etats-Unis. […] L'aérospatial iranien a fait preuve d'une ingéniosité louable, mais il est peu probable que l'Iran ait réussi à contourner les "lois" du développement et de la fabrication d'avions.»

La présentation de mardi est aussi une façon, pour Hassan Rohani, de mettre en avant l'armée régulière, future utilisatrice de «Kowsar». C'est d'ailleurs le ministre de la Défense Amir Hatami, qui a annoncé l'événement dès samedi. Hatami est issu de l'armée et non des Gardiens de la révolution, l'autre organisation officielle de la défense iranienne, plus radicale et très critique de la politique d'ouverture du président iranien. Sa nomination, décidée en concertation par Rohani et le Guide suprême, avait été interprétée comme une façon de valoriser l'armée régulière.

Défiance et compétition

Entre les deux corps militaires, la défiance est aussi ancienne que l'histoire de la République islamique. Mais ces dernières années, «le leadership iranien semble vouloir plus d'interopérabilité entre les forces», note l'IISS sans trop y croire : «La compétition entre les structures militaires de l'armée régulière et des Gardiens restera une composante intrinsèque de la doctrine et de la stratégie iraniennes. […] La méfiance entre les deux services demeure relativement forte.»

Cette rivalité n'est pas sans conséquences pratiques, et financières : «Depuis la fin de la guerre contre l'Irak [en 1988, ndlr], la majorité de l'investissement du commandement militaire iranien est allée dans les capacités de guerre asymétrique des Gardiens de la révolution, dans le programme balistique et dans les systèmes antiaériens. […] L'armée de l'air iranienne a un cruel besoin de modernisation», relève le rapport de l'IISS.

Les Gardiens comptent quelque 100 000 hommes, et la régulière environ 350 000. La flotte d’avions de chasse est en piteux état, comprenant des appareils américains des années 60 et 70, acquis par le régime du chah, et des modèles soviétiques des années 80. L’accord sur le nucléaire, signé en 2015, prévoyait que l’embargo sur les ventes d’arme à l’Iran soit levé en 2020.