Sur les grands débats de société, l'Uruguay présente une différence de taille avec sa voisine l'Argentine : le religieux pèse beaucoup moins dans le pays, qui fête cette année le centenaire de la séparation entre l'Etat et l'Eglise. Moins de la moitié des Uruguayens se définissent catholiques pratiquants, un des taux les plus bas d'Amérique latine, ce qui a facilité ces dernières années l'adoption de nombreuses lois progressistes qui, s'ajoutant à des indicateurs économiques favorables, peuvent ériger Montevideo en modèle. En 2013, The Economist proclamait l'Uruguay «pays de l'année». Une distinction inattendue pour cette petite république de 3,4 millions d'habitants.
Consensus. Quelle différence avec l'Argentine, mauvaise élève incapable d'honorer sa dette externe sous les gouvernances de Néstor Kirchner puis de sa femme Cristina Fernández, populistes de gauche ! L'Uruguay est pourtant dirigé, lui aussi, par la gauche : en 2005, la victoire du Frente Amplio portait à la présidence Tabaré Vázquez, qui passa le relais au médiatique José «Pepe» Mujica en 2010, avant de revenir aux affaires cinq ans plus tard. Le modèle de gouvernance progressiste fondée sur le consensus politique évoque une Suède de l'Amérique du Sud. Mais ceux qui l'ont rendu possible ne viennent pas de la social-démocratie : ses têtes visibles sont issues du mouvement Tupamaro, une guérilla urbaine née dans les années 60 dans le sillage de la révolution cubaine et de l'exemple du Che Guevara. Beaucoup d'entre eux, à l'instar de Pepe Mujica, ont connu la prison et la torture sous la dictature militaire (1973-1984).
Tous bords idéologiques confondus, l’Uruguay fait donc l’admiration de la communauté internationale, avec une croissance ininterrompue depuis 2003, des progrès tangibles dans la réduction des inégalités sociales et une politique très avancée sur les grands enjeux de société : l’avortement libre (depuis 2012), la légalisation du cannabis récréatif (votée en 2013, effective quatre ans plus tard) ou le mariage civil des personnes de même sexe, instauré en 2013.
La dépénalisation du cannabis (consommation récréative, culture et commerce) a été votée au terme d’une longue bataille parlementaire, alors que la majorité de l’opinion y était opposée. Adoptée en décembre 2013, la loi n’est entrée en vigueur qu’en juillet 2017. Depuis un an, les Uruguayens dûment enregistrés peuvent acheter en pharmacie 10 grammes de marijuana par semaine (à 1,10 euro le gramme). Les particuliers peuvent cultiver le chanvre, mais pas le vendre : le commerce relève d’un monopole d’Etat. Une législation pionnière en Amérique latine.
Médaille. L'Uruguay est aussi cité comme référence en ce qui concerne le respect de la diversité et les droits des minorités. Exemple parmi d'autres, l'une des rédactrices du texte législatif sur le mariage égalitaire, la sénatrice et avocate Michelle Suarez, est l'une des rares femmes trans parlementaires en Amérique latine. Aujourd'hui, la majorité des Uruguayens soutiennent les réformes entreprises ces dernières années. Et même si le président Vázquez, médecin et catholique, s'affirme à titre personnel opposé à l'interruption volontaire de grossesse, il n'a jamais fait obstacle à l'application d'une loi votée sous son prédécesseur.
L'Uruguay est gouverné à gauche depuis treize ans, record de longévité dans la région si l'on excepte les régimes autoritaires (Cuba, Nicaragua, Venezuela). Au printemps, The Economist décernait une nouvelle médaille au pays pour ses résultats économiques. La récession qui a touché ses voisins, l'Argentine et le Brésil, en raison de la chute des prix des matières premières, n'a eu que peu d'impact sur Montevideo, grâce à une économie diversifiée.
Tout n’est pas rose pour autant au pays où naquit Lautréamont. La sécheresse dont souffre le monde agricole et le protectionnisme de Donald Trump empêcheront l’Uruguay de maintenir sa croissance à 2,7 %, comme en 2017. Et si le chômage est maîtrisé à 8 %, l’inflation à 7 % est source d’inquiétude. Le prochain test pour le miracle uruguayen aura lieu lors de la présidentielle à venir, en octobre 2019.