En Hongrie, point d'actes racistes contre les migrants : il n'y a personne contre qui les perpétrer. Les rares clandestins qui parviennent à franchir la clôture frontalière sont refoulés en Serbie ou filent vers l'Autriche. Et Budapest n'admet que deux demandeurs d'asile par jour, dans des «zones de transit», deux camps de conteneurs encerclés de barbelés près de la frontière avec la Serbie. A ces réfugiés qui ont choisi la voie légale - ils sont actuellement 133, pour la plupart des familles, des malades et handicapés -, Viktor Orbán avait assuré : « Nous aidons ceux qui frappent à la porte.»
Mais pour Orbán, chef d’une droite nationaliste qui mène une campagne xénophobe depuis trois ans, ces exilés sont encore trop nombreux. Il a trouvé une tactique pour s’en débarrasser. Une nouvelle législation permet de rejeter automatiquement les demandeurs d’asile sans examiner leur dossier. Sous prétexte qu’ils ne viennent pas directement d’un pays où leur vie ou leur liberté sont menacées.
Le 8 août, malgré l'avis négatif de la Commission européenne, l'Office hongrois d'immigration commence à appliquer la loi et refuse les dossiers de deux familles afghanes et de deux Syriens. Aussitôt considérés comme «illégaux», ils sont privés de repas pendant trois jours, en attendant d'être expulsés vers la Serbie. L'avocat des familles afghanes, l'ONG Comité Helsinki, saisit en urgence la Cour européenne des droits de l'homme basée à Strasbourg. Le 10 août, celle-ci ordonne à l'Etat hongrois de «nourrir les plaignants pendant leur séjour dans la zone de transit». Le lendemain, ces derniers reprennent le chemin de la cantine. Mais les décisions de la cour s'appliquent à des cas individuels, et non à l'ensemble des demandeurs d'asile.
«Mensonges»
Les autorités magyares privent alors de couvert d'autres réfugiés, en leur disant : «Si vous voulez manger, adressez-vous à la Cour de Strasbourg.» Dès que la Cour rend un nouveau jugement (elle en est à son quatrième), l'Office d'immigration ôte le pain de la bouche à de nouvelles victimes. Ce jeu cynique et inhumain a pour but « de pousser les réfugiés à bout afin qu'ils repartent d'eux-mêmes vers la Serbie», analyse Andras Lederer, responsable «plaidoyer» du Comité Helsinki. Car si les fugitifs restent dans le campement, le gouvernement hongrois ne peut les expulser sans le feu vert de Belgrade - qui refuse de le donner - et il est alors obligé d'étudier leur demande d'asile sur le fond. D'où la tactique qui consiste à harceler les exilés en les privant de repas. « C'est une violation de l'article 3 de la Convention européenne, selon lequel nul ne peut être soumis à la torture, ni à des traitements inhumains et dégradants», dénonce Andras Lederer.
«Les déclarations du Comité Helsinki sont de purs mensonges ; encore une campagne de dénigrement par le réseau de George Soros ! rétorque le porte-parole du gouvernement. La législation hongroise est claire : tout demandeur d'asile est pris en charge par l'Etat, qui dépense à cet effet plus de 700 000 forints par an et par personne [soit 2 170 euros environ]. Mais si une personne voit sa demande d'asile rejetée, elle doit quitter la zone de transit.»
Depuis quelques jours, les autorités hongroises semblent faire une pause dans leur tactique de harcèlement. Il n'en reste pas moins que cet épisode s'inscrit dans la campagne de haine contre les migrants menée depuis trois ans par le gouvernement. Dans l'empire médiatique appartenant au clan au pouvoir (20 chaînes de télévision dont 6 publiques, 11 radios et près de 500 journaux papier et sites web), le message est omniprésent : les migrants sont tous des terroristes en puissance. Le JT de la première chaîne publique consacre souvent vingt-cinq minutes à des reportages nourris de fake news sur des étrangers qui terrorisent la population en Allemagne ou en Belgique.
Reportages
Cette communication qui présente les migrants comme des monstres a plongé les Hongrois dans la psychose. L'hôtelier d'un petit village a voulu offrir un séjour au vert à une quinzaine d'enfants de réfugiés, dont les parents ont tous des papiers (1). Mais les villageois, terrorisés, s'y sont opposés. L'hôtelier a été menacé de mort, on lui a crevé les pneus de sa voiture, et le projet a capoté. «Les villageois ont eu raison de réagir de manière intelligente et déterminée», a commenté Orbán.
(1) La Hongrie compte actuellement 3 555 réfugiés (dont la moitié a un statut temporaire).