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Analyse

Réchauffement climatique, le global warning

Hulot, et après ?dossier
D’après l’ONU, les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris jusqu’à présent par les Etats signataires de l’accord de Paris conduiraient à un monde à + 3°C. Une mise en garde qui acte l’urgence de la situation et devrait inciter les pays à agir radicalement.
Alors que l’accord de Paris sur le climat (2015) vise à contenir le réchauffement mondial sous les 2°C, voire 1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle d’ici à 2100, ce seuil pourrait être dépassé dès 2040. (Photo Vincent Lecomte. Hans Lucas)
publié le 28 août 2018 à 19h36

Jamais, au cours des quinze mois de vaine tentative de mutation écologique de l'appareil d'Etat français par Nicolas Hulot, autant de rapports alarmistes n'ont décrété avec une telle virulence l'état d'urgence climatique et environnementale de la planète. Une accumulation de signaux d'alarme appelant à un sursaut radical qui, sans aucun doute, a pesé lourd dans la décision de l'ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, frustré de s'«accommoder des petits pas alors que la situation mérite qu'on change d'échelle».

Dernière en date, une étude publiée le 6 août par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences met en garde sur «une réaction en chaîne incontrôlable», un «basculement irréversible». Et prédit «des endroits inhabitables sur la Terre». Elle prévient : «Les décisions des dix à vingt prochaines années vont déterminer la trajectoire du monde pour les 10 000 années suivantes…» Intitulée «Trajectoires du système Terre dans l'anthropocène», elle a inspiré Hulot mardi lorsqu'il a évoqué à deux reprises la Terre «étuve».

Collapsologie délirante, quarante-six ans après le rapport Meadows sur les Limites à la croissance rédigé par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology pour le Club de Rome ? Non, simples projections de climatologues dont les modèles montrent que le climat change plus, et plus vite que prévu. Moins d'une semaine plus tôt, 500 scientifiques de 65 pays s'inquiétaient ainsi de la hausse rapide du niveau des océans - 7,7 centimètres entre 1993 et 2017 -, de l'acidification des eaux qui détruit à certains endroits jusqu'à 95 % des coraux au large de l'Australie et de la multiplication des cyclones tropicaux.

Auteur du discours prononcé par Jacques Chirac au Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002 dans lequel il prophétisait «notre maison brûle et nous regardons ailleurs», Hulot découvre de l'intérieur les gouvernements pyromanes et leur incapacité à changer d'ambitions, de système de pensée comme de production, alors que la planète danse au-dessus d'un précipice. Emmanuel Macron a d'ailleurs avoué son impuissance en décembre, lors du One Planet Summit : «On ne va pas assez vite et c'est ça le drame. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.»

«Echéance»

On ne pourra pas dire que ce n’est pas la faute de l’humain-prédateur. Une enquête parue en juillet chiffre à seulement 0,001 % la probabilité que l’homme ne soit pas responsable, au moins en partie, du changement climatique. Le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’évaluait jusqu’alors à 5 %.

En juin, il a d'ailleurs transmis aux Etats ses conclusions d'un rapport spécial qui doit être dévoilé en octobre, mais dont une version préliminaire a fuité. Alors que l'accord de Paris sur le climat de 2015 vise à contenir le réchauffement mondial sous les 2°C, voire 1,5°C, par rapport à l'ère préindustrielle d'ici à 2100, ce seuil pourrait être dépassé dès 2040. La raison : au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre, la température augmente d'environ 0,17°C par décennie. Et l'inversion de la courbe du CO2 ne se profile toujours pas. Elle a atteint un record en 2017. Sa croissance a même été multipliée par quatre depuis le début des années 60. Pire : «Les engagements de réduction pris jusqu'à présent par les Etats signataires conduiraient à un monde à + 3°C, déplorait en mai la responsable climat de l'ONU, Patricia Espinosa. Le laps de temps qui nous est imparti pour s'attaquer au changement climatique arrive bientôt à échéance.»

Hulot le sait bien, lui qui a pourtant dû se battre pour interdire le glyphosate dans trois ans au lieu de cinq ou avaler la fin des subventions pour les vélos électriques… Comme il sait bien qu’un dépassement de 1,5°C aurait des conséquences irréversibles sur la survie des espèces et des écosystèmes, sur l’accès à l’eau ou aux terres arables, comme sur les migrations climatiques déjà évaluées à 250 millions de personnes d’ici à 2050. Ajoutée à la démographie galopante (la planète a gonflé de 2 milliards d’habitants depuis 1992), la pression sur les ressources naturelles est en effet sans précédent.

Dépassement

Un rapide coup de loupe sur les six derniers mois. En mars, le CNRS s'inquiète du «déclin massif» des insectes en France et de la disparition des oiseaux à «une vitesse vertigineuse» en raison de l'intensification des pratiques agricoles. Neuf mois plus tôt, une enquête rappelait que la disparition d'espèces a été multipliée par 100 depuis 1900. Avril : le Pakistan enregistre un record mondial de température mensuelle de 50,2°C. Mai : la concentration moyenne de CO2 atteint 410 parties par million, 46 % de plus qu'en 1880. Juin : le Centre commun de recherche de l'UE assure que la désertification frappe 7 % du continent, que trois quarts des terres de la planète seraient dégradées et que 90 % pourraient le devenir d'ici à 2050. Juillet : la Suède, la Californie et même l'Arctique subissent des incendies records ; la canicule embrase l'Europe ; la Colombie a perdu un cinquième de ses glaciers en sept ans. Août : le jour du dépassement, qui marque le moment de l'année où la Terre a consommé plus de ressources naturelles que la planète ne lui permet, tombe le 1er du mois ; le Kerala en Inde connaît une mousson sans précédent, au moins 445 morts, 1 million de déplacés… En novembre, plus de 15 000 scientifiques prévenaient, vingt-cinq ans après un appel de 1 700 chercheurs: «Non seulement l'humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnementaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que la plupart d'entre eux se sont considérablement aggravés.» Et d'ajouter : «Nous avons déclenché un phénomène d'extinction de masse, le sixième en 540 millions d'années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement, ou en tout cas se trouver au bord de l'extinction d'ici à la fin du siècle.»

James Ephraim Lovelock, théoricien de l'Hypothèse Gaïa selon laquelle l'ensemble des êtres vivants sur Terre formerait ainsi un vaste superorganisme, écrivait en 2006 : «Notre avenir est semblable à celui des passagers d'un petit bateau qui naviguerait tranquillement vers les chutes du Niagara, sans savoir que les moteurs sont sur le point de tomber en panne.» A 99 ans, ce Britannique a depuis longtemps prédit qu'avant la fin du siècle 80 % de la population de la planète aura disparu. L'enquête du 6 août abonde dans son sens.

Hulot a, lui, décidé, de quitter le radeau gouvernemental. Pour tenter de regagner les rives des mobilisations citoyennes globales, seules capables de faire bouger les choses, bousculer la myopie politique des démocraties occidentales ? «On est à un point de rupture psychique et physique du monde», disait-il à Libération en septembre 2015. Ajoutant, prémonitoire : «Si les politiques n'ouvrent pas le chemin à Paris, les peuples se fraieront une voie.»