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Libération
Décryptage

Au Royaume-Uni, les lobbys offensifs sur le Brexit

Profitant d’une réglementation laxiste, les sphères d’influence bataillent plus que jamais autour de la sortie de l’UE.
publié le 29 août 2018 à 20h46

«Nous savons tous comment cela fonctionne. Les déjeuners, les invitations, le mot discret glissé à votre oreille, les ex-ministres et conseillers louant leurs services pour aider les entreprises à bien négocier leurs intérêts…» C'était en février 2010. Le chef du parti conservateur britannique, David Cameron, dénonçait le lobbyisme qui «salit depuis trop longtemps notre politique». Quatre mois plus tard, il devenait Premier ministre et promettait de réguler le trafic d'influence. Une loi a été votée en ce sens en 2013, mais son contenu est resté timide. Les ministères publient chaque trimestre une liste des rencontres entre ministres, conseillers et groupes d'influence. «Ces registres sont souvent incomplets ou vagues et il n'en existe aucun définitif, explique Steve Goodrich, de Transparency International UK (TI UK). Le lobbyisme n'est pas forcément négatif quand il s'exerce dans l'intérêt du public, mais le manque de transparence fait souvent craindre des prises de décision pour des intérêts privés avant tout.»

Les grands principes de Cameron, qui avait promis de mener le gouvernement le plus écologiste «de l'histoire», ont ainsi vite fondu à l'épreuve du pouvoir et des lobbys. En 2013, il avait demandé à ses conseillers de «virer tous les bidules verts» de sa politique, dont les incitations fiscales pour une énergie plus propre. En mars, il a prononcé un discours aux Etats-Unis, devant des producteurs américains de carburant et pétrochimie. Il y a vanté les mérites du gaz de schiste et rappelé avoir mis en place toute la législation possible pour en faciliter l'exploration, mais regretté que «les mouvements environnementaux» rendent tout progrès «lent et frustrant». Depuis qu'il a quitté Downing Street, Cameron prononce ainsi ça et là des discours grassement rémunérés.

Plusieurs scandales ont secoué le monde politique britannique ces dernières années. En 2011, l'actuel ministre au Commerce international, Liam Fox, avait démissionné de son poste de ministre de la Défense après la révélation qu'il avait donné un accès sans précédent à son ministère à un ami très proche, lobbyiste et payé par un groupe de pression. Fin juillet, un rapport de TI UK révélait «une culture d'impunité» parmi les députés britanniques invités par des Etats aux régimes politiques douteux. Une semaine plus tôt, le député nord-irlandais Ian Paisley Jr., membre du petit parti unioniste du DUP, avait été suspendu trois mois. Il avait omis de déclarer des «vacances en famille» payées 55 400 euros par le Sri Lanka. Or, peu de temps après ces vacances, en 2014, le député avait écrit à Cameron pour lui demander de ne pas soutenir une résolution de l'ONU sur des abus des droits de l'homme au Sri Lanka.

Le Brexit pourrait bien se révéler l'âge d'or des lobbyistes, estime Tahiru Liedong, professeur à l'université de Bath. La sortie de l'UE, et de certaines de ses régulations, fait craindre une multiplication des sphères d'influences souhaitant récupérer un morceau du gâteau. «Beaucoup de lobbyistes présents à Bruxelles vont basculer vers le Royaume-Uni, avec des intérêts parfois diamétralement opposés», assure le chercheur. Des PME vont chercher à «diminuer la compétition et donc pousser pour un Brexit dur», et des milieux de la finance ou les multinationales «poussent pour un Brexit le plus souple possible».