Pour justifier sa démission du gouvernement, Nicolas Hulot a fustigé la politique court-termiste du Premier ministre en matière d'environnement. Pierre Radanne, spécialiste des questions énergétiques et climatiques et fondateur de l'association 4D (Dossiers et débats pour le développement durable), décrypte pour Libération les arguments du désormais ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, mardi matin sur France Inter.
«Contrairement à ce que l'on dit, la France fait beaucoup plus que beaucoup de pays.»
Effectivement, et cela a commencé avec François Hollande. L'ex-locataire de l'Elysée s'en est saisi très tard, mais il s'est passionné pour la question climatique. A l'époque, l'ensemble de la diplomatie française s'est mouillé la chemise. Par exemple, la France a organisé pas moins de trente réunions avec la délégation saoudienne pour préparer l'accord de Paris sur le climat ! Aujourd'hui, Emmanuel Macron ne gère pas si mal la suite de cet accord. Mais en dehors de l'Elysée, cela s'est terriblement affaibli. Les décisions intérieures ne suivent pas. Certes, Notre-Dame-des-Landes a été abandonnée, mais il reste encore de nombreux sujets qui posent problème. Je pense à l'extraction pétrolière au large de la Guyane, aux délais de fermeture des centrales à charbon, ou encore aux plans qui devaient être faits sur le logement pour restaurer le patrimoine ancien, totalement oubliés. Cela traîne aussi du côté des énergies renouvelables, quand bien même cela représente des filières d'emploi considérables. C'est très décousu.
«L'enjeu écologique est un enjeu culturel, sociétal, civilisationnel, et on ne s'est pas du tout mis en ordre de marche pour l'aborder.»
Le politique a fait son travail avec l'accord de Paris, mais le développement des technologies vertes qui s'impose n'est pas au rendez-vous. Le marché mondial s'est considérablement ouvert en matière d'énergies renouvelables, d'économies d'énergie et de véhicules propres. Les entreprises l'ont très bien compris. Et les Allemands et les Chinois, en tête du développement de ces nouvelles technologies, aussi. Mais alors que les Allemands n'ont de cesse de nous faire des appels du pied pour développer les industries du renouvelable, nous ne leur avons jamais apporté de réponse sérieuse. C'est pourtant la première fois de l'histoire de l'humanité que tous les pays s'alignent sur une grande partie des choix technologiques. Or, cette question est totalement absente du débat politique français. On pouvait espérer que Macron le comprenne, étant plus jeune que ses prédécesseurs. Mais il est complètement endoctriné par cette vision traditionnelle de la politique qui place le budget en haut de ses priorités, et laisse peu de place au reste.
«Cela ne fonctionne pas comme ça devrait. On avait une réunion hier à l'Elysée sur la chasse, et j'ai découvert la présence d'un lobbyiste qui n'était pas invité. C'est symptomatique de la présence des lobbyistes dans les cercles du pouvoir.»
Il existe deux types de lobbys. Il y a ceux dont on parle, à savoir les lobbys industriels. Ceux-là sont assez discrets. Leur poids n'a d'ailleurs pas été important lors de la COP 21, en 2015. A partir du moment où les entreprises qui vendaient des équipements pour les énergies renouvelables ont compris qu'un marché mondial s'ouvrait à elles, elles ont même fait un contre-feu par rapport aux pétroliers. Mais nous avons assisté à un retour de flammes. Les entreprises qui s'étaient tues pendant la COP 21 défendent aujourd'hui leurs intérêts à court terme, et ne veulent pas de changement profond. Toutes les questions fiscales sont bloquées. Mais il existe un lobby d'une autre nature : celui du poids de l'administration et de Bercy, qui dit qu'il n'y a pas d'argent dans les caisses. La résistance de l'administration est un facteur terriblement bloquant pour l'écologie.
«L'Europe ne gagnera que si l'Afrique gagne.»
Tracez une ligne de Dakar (Sénégal), à Dacca (Bangladesh), et vous verrez qu'il y a le feu dans tous les pays qu'elle traverse. Ce sont des conflits politiques, tribaux, religieux… Mais tous sont causés par la même chose : le réchauffement climatique et l'effondrement de la pluviométrie, voire dans certaines situations inverses des pluviométries extrêmement violentes. Les pluies sont tellement soudaines et brutales que les sols ne peuvent pas les absorber. La question du climat nourrit la vague migratoire que l'on connaît aujourd'hui. Prenez l'exemple de la Syrie. Les quatre années qui ont précédé le soulèvement contre Bachar al-Assad ont été les pires années de sécheresse que le pays ait jamais connu. Cela a jeté sur les routes 2,5 millions d'agriculteurs ruinés. Or, un pays ne peut pas être stable si ses agriculteurs sont instables. Nos politiques n'ont toujours pas compris à quel point la question environnementale était un moteur explosif sur l'ensemble de cette ligne Dakar-Dacca. Nicolas Hulot a raison de dire que si on ne fait pas un plan massif d'aide au développement de l'Afrique, on ne va pas s'en sortir. La vague migratoire ne peut que continuer. Ce ne sont pas des migrants économiques, mais bien des victimes de la ruine du monde agricole qui fuient leurs pays.