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Libération
Corruption

Le président du Guatemala se débarrasse de sa bête noire

Irrité par les enquêtes pour corruption lancées contre lui et son entourage par la Commission anti-impunité, le chef de l'Etat Jimmy Morales a déclaré persona non grata le juriste colombien qui la dirige.
Un manifestant brandit le slogan «Jimmy non grata» dans le centre de Guatemala Ciudad, mardi. (Photo Johan Ordonez. AFP)
publié le 5 septembre 2018 à 18h38

La scène est insolite au regard des usages diplomatiques. Mardi, en remettant ses lettres de créance au président du Guatemala, la nouvelle ambassadrice de Norvège a mis les pieds dans le plat en reprochant à Jimmy Morales sa dernière provocation : ne pas prolonger au-delà de 2019 le mandat de la Commission internationale contre l’impunité (Cigig) et interdire le retour dans le pays de son président, l'avocat colombien Iván Velázquez. Rut Krüger Giverin a déclaré que son pays déplorait la décision rendue publique vendredi, et annoncé dans la foulée qu’Oslo accordait une subvention de 4 millions de couronnes (410 000 euros) à la Commission.

Le Cicig est la bête noire du président conservateur du Guatemala. Cette instance a été mise en place par l’ONU en 2006 pour soutenir le fragile système judiciaire guatémaltèque, objet de pressions et de menaces de la part des forces politiques et économiques, et surtout des militaires. En douze ans, la Cicig a fourni un énorme travail sur les dossiers de corruption. Elle a notamment permis la mise en accusation du chef d'Etat Otto Pérez Molina, démissionnaire en 2015, puis inculpé et mis en détention pour avoir confondu les fonds publics et son propre compte en banque. Son procès n’a toujours pas eu lieu.

Fausses factures

Morales n’est est pas à sa première attaque contre Velázquez et sa commission. En juin 2017, ulcéré par une enquête sur le financement de sa campagne présidentielle, assortie d’une demande de levée de son immunité, il décidait d’expulser le Colombien. La Cour constitutionnelle avait invalidé la mesure. La Cicig a aussi soutenu l’enquête sur un réseau de fausses factures et de blanchiment au bénéfice, entre autres, du fils du président, José Manuel, et de son frère, Samuel. Les deux frères formaient le fameux duo de clowns de la télé Neto y Nito. Ouvert au printemps 2017, le procès s’enlise dans des querelles de procédure et ne semble pas près d’être terminé.

Iván Velázquez, surnommé «Ivan le Terrible» par les médias du Guatemala, a reçu le soutien du secrétaire général de l'ONU. Antonio Guterres souligne que la Cicig et son commissaire «jouent un rôle fondamental dans la lutte contre l'impunité au Guatemala», et demande au pays de revenir sur sa position. En attendant, les Nations unies demandent à Iván Velázquez de poursuivre son travail depuis l'étranger.

Comique bas de gamme

Un appel à manifester et à bloquer les axes de circulation a été lancé pour ce mercredi sur les réseaux sociaux, tentative de faire revivre l'esprit du «printemps guatémaltèque» de 2015, qui avait abouti à la démission du président corrompu Otto Pérez Molina. Le réveil citoyen avait paradoxalement permis l'élection de Jimmy Morales : le rejet de la classe politique avait bénéficié à ce comique bas de gamme mais très populaire, et malgré le soutien que lui apportaient les secteurs les plus conservateurs de l'armée.