Menu
Libération
L'histoire du jour

Un costard taille Woodward pour Trump

Instabilité, mensonges, insultes… S’appuyant sur des sources solides, le célèbre journaliste confirme dans son livre-enquête «Fear : Trump in the White House» l’incurie du président américain.
Donald Trump à Manchester, dans le New Hampshire, le 4 février 2016. (Photo Carlo Allegri. Reuters)
publié le 5 septembre 2018 à 20h56

Une équipe au bord de la «dépression nerveuse», une «maison de fous», un président aux «capacités mentales d'un élève de CM2 ou sixième», selon le secrétaire à la Défense, James Mattis. Bienvenue à la Maison Blanche version Trump, où l'incompétence règne et les insultes fusent, selon Bob Woodward, journaliste vedette qui dévoila le Watergate en 1972. Son dernier livre-enquête, Fear : Trump in the White House, dont le Washington Post et CNN ont publié mardi les bonnes feuilles, lève un peu plus le voile sur un univers chaotique, dont on connaissait les contours sans pour autant en soupçonner la noirceur.

Parmi les scènes décrites par Woodward, l'une des plus ahurissantes touche à l'enquête du procureur spécial Robert Mueller sur une éventuelle collusion entre la campagne Trump et la Russie. Selon l'auteur, alors que le milliardaire envisage de répondre en personne aux questions de Mueller, son avocat, John Dowd, tente de l'en dissuader, persuadé que son client, «un putain de menteur», ne pourra s'empêcher de se parjurer. Pour convaincre le Président, Dowd organise avec lui un faux interrogatoire, au cours duquel Trump multiplie les mensonges et finit par sortir de ses gonds. Peu après, Dowd rencontre Mueller et lui raconte la scène : «Je ne vais pas rester là à le regarder passer pour un idiot», prévient-il sans détour. Comme beaucoup dans la galaxie Trump, Dowd finira par démissionner.

Paranoïaque

Le livre de Bob Woodward, qui sort le 11 septembre aux Etats-Unis et sera traduit au Seuil en France, dresse un portrait dévastateur d'une Maison Blanche dysfonctionnelle, «constamment au bord du précipice», selon l'ex-secrétaire du personnel Rob Porter. Pour éviter la chute, décrit le célèbre journaliste, les cadres de l'administration Trump, exaspérés par un président erratique, paranoïaque, agressif et inapte, redoublent d'efforts. Quitte, parfois, à le court-circuiter. Woodward raconte ainsi comment Gary Cohn, alors conseiller économique, subtilise sur le bureau du président une lettre par laquelle Trump aurait dynamité l'accord de libre-échange liant Washington à la Corée du Sud. Ou comment James Mattis, le secrétaire à la Défense, ignore la réaction explosive du Président qui, au téléphone, après l'attaque chimique du printemps 2017 en Syrie, lui intime à propos de Bachar al-Assad : «Qu'on le tue, putain !» A la place, l'armée américaine bombardera une base aérienne syrienne.

Le livre, enfin, fait la part belle aux insultes. Celles de Trump à son entourage : son ministre de la Justice Jeff Sessions, «retardé mentalement» ; son conseiller et désormais avocat Rudy Giuliani, «un bébé à qui il faut changer les couches» ; son ex-chef de cabinet Reince Priebus, «un petit rat». Mais aussi celles de son entourage à l'encontre du milliardaire : «C'est un idiot. C'est inutile d'essayer de le convaincre de quoi que ce soit. Il est en roue libre. Nous sommes chez les fous. Je ne sais même pas ce que nous faisons là. C'est le pire job que j'aie jamais eu», aurait ainsi confié son chef de cabinet, le général John Kelly.

Sans surprise, la Maison Blanche dénonce un tissu de mensonges et «d'histoires fabriquées». Les principaux protagonistes, James Mattis et John Kelly en tête, démentent les propos qui leur sont attribués. Quant au Président, il dénonce «des interviews bidons» et «un autre mauvais livre». Un autre, car c'est la deuxième fois cette année qu'un brûlot sur la présidence Trump est publié, après le Feu et la Fureur de Michael Wolff.

Sauf que Woodward n’est pas Wolff, qui souffrait d’un sérieux manque de crédibilité. A 75 ans, deux Pulitzer, 18 livres dont 12 best-sellers, Bob Woodward affiche, lui, une réputation impeccable. Pour ce nouvel ouvrage, ce journaliste d’investigation a réalisé durant plusieurs mois des centaines d’heures d’interviews avec différentes sources, et amassé notes personnelles, comptes rendus de réunions et documents officiels. Même ceux qui ont fait l’objet dans le passé de ses enquêtes féroces, à l’image de l’ancien porte-parole de George W. Bush, ont salué sa déontologie.

Opinion

Si tout est vrai, alors quelles conséquences ? En interne, certains observateurs estiment que John Kelly, dont la relation avec Donald Trump est notoirement tendue, pourrait à moyen terme faire les frais de ces révélations. Au-delà, le livre de Bob Woodward, dont le premier tirage américain est de 550 000 exemplaires, ne devrait guère faire bouger les lignes politiques, à deux mois des élections de mi-mandat. Les Américains qui considèrent Trump comme un président inapte et dangereux verront leur opinion renforcée. Tout comme les partisans du Président, pour qui Woodward, figure historique du Washington Post, incarne à la perfection l'élite médiatique qui, selon eux, n'a qu'une obsession : faire tomber Donald Trump.