Même au sein du New York Times, les mâchoires sont tombées. Si la tribune assassine envers Donald Trump, rédigée par un membre de son administration sous couvert d'anonymat, a été publiée sur le site du grand quotidien new-yorkais, la majorité des journalistes de cette rédaction n'avaient pas la moindre idée qu'une telle bombe allait être lâchée. «Je viens de recevoir un SMS de ma mère : "Qui a écrit cette tribune ? Tu peux me le dire à moi"», plaisante sur Twitter Michael Schmidt, un journaliste du Times, insinuant qu'il n'a pas la réponse à cette question.
L'auteur du brûlot a envoyé son texte au département Opinion, en charge de la publication de tribunes, le seul qui soit indépendant du reste du journal. «Si un service a un scoop, il doit en référer à la rédaction générale, mais pas le département Opinion», commente Eric Alterman, professeur de journalisme au Brooklyn College et chroniqueur des médias. «Notre travail est de publier des tribunes qui donnent des clés à la population pour comprendre ce qui est en train de se passer et je pense que ce texte est une remarquable contribution dans ce sens», a justifié pour sa part James Bennet, journaliste au sein du service en question, répondant à des interrogations liées à l'éthique autour d'une publication anonyme. Après avoir effectué des vérifications pour s'assurer que l'auteur «était bien celui qu'il dit être», Jim Dao, rédacteur en chef de la section Opinion, a affirmé à Vanity Fair que la décision a été prise de publier ce texte sans en informer le reste du journal. Seule une poignée de personnes est au courant de l'identité du «traître», comme l'a qualifié Trump.
«Folie»
Passé la surprise, les journalistes du Times ont réagi comme n'importe lesquels de leurs confrères : en cherchant l'identité de l'auteur. «C'est un jeu. Tout le monde, y compris le bureau de Washington, essaie de savoir qui a écrit ce papier. C'est la folie», commente une journaliste citée par Vanity Fair. D'autres s'interrogent sur l'attitude à adopter dans ce cas inédit. «Donc, en fait, les reporters du Times doivent maintenant essayer de découvrir l'identité d'un auteur dont nos collègues de la section Opinion ont juré de protéger l'anonymat ?» résume sur Twitter Jodi Kantor, une journaliste d'investigation du quotidien américain, révélant l'ambiguïté dans laquelle se trouve la rédaction. «Ou alors, est-ce que le journal tout entier est lié à cette promesse d'anonymat ? Je ne crois pas. En tout cas, c'est fascinant.»
Bête noire
La question ne s'était jamais posée. Si des tribunes anonymes ont déjà été publiées - il y en a eu environ quatre en trois ans, a compté de mémoire Jim Dao -, il s'agit habituellement de préserver des auteurs dont la vie ou la sécurité sont en danger. «Ce cas-là est extraordinaire», commente Eric Alterman. Jim Dao, lui, n'entend pas lâcher le morceau. Mais il ne compte pas non plus empêcher ses collègues de faire leur travail. «De la même manière qu'ils n'exigent pas que l'on publie une tribune plutôt qu'une autre, nous ne leur disons pas sur quoi ils doivent travailler ou pas», a-t-il indiqué au site Politico.
La chasse aux informations promet d'être intéressante. Le New York Times, véritable institution médiatique, dispose d'une armée de reporters à la curiosité aiguisée : «L'équipe éditoriale du journal compte environ 1 300 membres. C'est deux fois plus que n'importe quel autre journal aux Etats-Unis», précise Eric Alterman.
Bête noire du Président, le quotidien est accusé à l'envi par Donald Trump d'être malhonnête et même d'être «défaillant».Toujours est-il que selon des chiffres communiqués en mai, en seulement un an, le New York Times a enregistré une augmentation de plus de 25 % de son nombre d'abonnés en ligne.