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Libération
Analyse

Donald Trump en milieu hostile

La chasse aux taupes est ouverte au sein de l’administration américaine après la publication d’une tribune par le «New York Times» accablant le chef de la Maison Blanche. Déjà visé par les révélations du journaliste Bob Woodward, ce nouvel épisode risque de renforcer la paranoïa du Président.
Donald Trump s’est exprimé devant des shérifs, mercredi à la Maison Blanche. (Photo Leah Millis. Reuters)
publié le 6 septembre 2018 à 20h56

A l'été 1990, alors au bord de la faillite, plombé par les pertes de ses casinos d'Atlantic City et en instance de séparation de sa femme Ivana, Donald Trump publia son deuxième bestseller, Surviving at the Top («survivre au sommet»). Présomptueux à l'époque, le titre semble parfaitement adapté au combat mené ces jours-ci par l'ex-magnat de l'immobilier grimpé au zénith de la politique américaine. Et qui s'efforce d'y rester, dans un climat de plus en plus hostile. Voire insurrectionnel, surtout après la publication d'une tribune anonyme par un haut responsable de l'administration américaine.

«Les sondages crèvent le plafond […]. Personne ne sera en mesure de me battre en 2020», a lancé mercredi soir Trump, avec son aplomb légendaire. A ce stade, nul ne sait s'il sera réélu, ou même candidat à un second mandat. Une chose est sûre : sa cote de popularité, qui n'a jamais franchi la barre des 50 %, s'est affaissée, autour de 36 %-37 %. Sans doute la conséquence d'une séquence estivale épouvantable pour le locataire de la Maison Blanche.

Il y eut d'abord, mi-août, la sortie du livre d'une ex-conseillère virée fin 2017, Omarosa Manigault Newman, l'accusant d'être «raciste, intolérant et misogyne». Puis, quelques jours plus tard, la double condamnation de Paul Manafort, ex-directeur de campagne du candidat Trump, et Michael Cohen, son ancien avocat personnel. Sous serment, ce dernier a impliqué son illustre client, avouant avoir acheté en 2016, sur ordre de Trump, le silence de deux maîtresses présumées du milliardaire afin de protéger sa campagne. Ce qui pourrait faire du Président le complice d'un crime fédéral.

La mort, le 25 août, du sénateur républicain John McCain, héros conservateur anticonformiste, a déclenché une semaine d'hommages où Trump a brillé par son absence. Ennemi personnel de McCain, qu'il avait moqué pour avoir été capturé au Vietnam (qui s'est vengé en torpillant la promesse présidentielle d'abroger la réforme de la santé d'Obama), Donald Trump était persona non grata aux funérailles de l'élu d'Arizona. Dans une communion bipartisane d'un autre temps, les ex-présidents George W. Bush et Barack Obama ont autant rendu hommage à McCain que critiqué, sans le nommer, leur volcanique successeur.

Stupeur

Trump l'ignorait alors, mais le pire restait à venir. Deux salves, à vingt-quatre heures d'intervalle, sont venues de son propre camp. D'abord les bonnes feuilles du livre de Bob Woodward, publiées mardi. Sur la base de centaines d'heures d'interviews avec d'actuels et anciens responsables de l'administration, le légendaire journaliste du Watergate dépeint une «maison de fous», une équipe au bord de la «dépression nerveuse» face à un président agressif et inapte, «aux capacités mentales d'un élève de CM2 ou sixième». La seconde rafale, la plus dévastatrice, a pris la forme d'une tribune anonyme publiée mercredi par le New York Times. Intitulée «Je fais partie de la résistance au sein de l'administration Trump», elle est signée d'un «haut responsable». Aux Etats-Unis, sur les plateaux de télé et les réseaux sociaux, ce texte a suscité la stupeur. Pour cause : l'auteur décrit l'existence d'un groupe pour contrôler le Président. Un complot inédit dans l'histoire contemporaine américaine.

«TRAHISON ?» a tweeté Trump, appelant le journal à dévoiler le nom de ce responsable anonyme pour des raisons de sécurité nationale. «L'individu derrière ce texte a choisi de duper, au lieu de soutenir, le président élu des Etats-Unis. Il fait passer son ego avant la volonté du peuple américain», a ajouté la porte-parole de la Maison Blanche, appelant le «lâche» «à faire la seule chose qui s'impose et démissionner».

Midterms

Derrière cette réaction mesurée, une impitoyable «chasse à la taupe» a, selon plusieurs médias américains, débuté dès mercredi soir à la Maison Blanche, où la paranoïa de Trump atteint des sommets. A tel point que le vice-président, Mike Pence, le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, le chef du Pentagone, James Mattis, et celui du renseignement, Dan Coats, se sont tous sentis obligés jeudi de préciser qu'ils n'étaient pas la source anonyme. De quoi confirmer que le soupçon n'épargne personne.

Résistant courageux pour certains, ignoble traître pour les pro-Trump, l'auteur du texte suscite des réactions contrastées. «J'ai du mal à voir le responsable anonyme comme un héros. Il / elle semble vouloir jouir des bénéfices d'appartenir à une administration républicaine tout en se soustrayant à la responsabilité qu'il porte en épaulant un dirigeant inapte pour son poste», écrit sur Twitter Seth Masket, politologue à l'université de Denver. Dans The Atlantic, David Frum, ancien de l'administration Bush, évoque, lui, une «crise constitutionnelle» et reproche à l'auteur du texte d'avoir aggravé la situation en «décuplant la paranoïa du Président» et en mettant en péril le groupe de résistants auquel il dit appartenir. Trump «va devenir plus défiant, plus imprudent, plus anticonstitutionnel et plus dangereux», conclut Frum.

Dans cette ambiance délétère, l'entourage du Président attend désormais fébrilement le rapport final du procureur spécial Robert Mueller, chargé de l'enquête sur une éventuelle collusion entre la campagne Trump et la Russie. L'avocat du milliardaire, Rudy Giuliani, a révélé mercredi sur CNN avoir échangé avec l'équipe de Mueller sur la possibilité que Trump réponde par écrit aux questions du procureur. Giuliani s'est dit en outre convaincu que le résultat de l'enquête serait connu avant les élections de mi-mandat, dans deux mois. Un délai jamais confirmé par le procureur. Selon les sondages, le Parti républicain a de fortes chances de perdre sa majorité à la Chambre des représentants lors des midterms. Ce qui paralyserait l'agenda législatif de Trump. Et le pousserait aussitôt à se focaliser sur sa réélection en 2020. Une campagne au sulfureux parfum de combat, ce qui ne sera pas pour lui déplaire. «Ce que j'aime par-dessus tout, écrivait-il dans son bestseller de 1990, c'est me battre pour m'éloigner du précipice.» Politiquement, il n'en a jamais semblé aussi proche. La contre-attaque pourrait être sanglante.