Une famille d'origine jordanienne passe devant le stand du parti d'extrême droite Démocrates de Suède (SD), à Södertälje, ville industrielle à 30 kilomètres de Stockholm. Beata Milewczyk, la tête de liste locale, salue chaleureusement l'entraîneur de foot de son fils. Avant de se lancer dans un discours de dédiabolisation de son parti : «Moi aussi, je suis immigrée. Je ne vais pas m'expulser moi-même du pays !» lance, en riant, cette femme d'origine polonaise.
Les SD espèrent devenir le deuxième parti du pays lors des législatives de dimanche, avec entre 17 % et 24 % d’intentions de vote selon les sondages, juste derrière les sociaux-démocrates. Ces derniers, au pouvoir en coalition avec les Verts, redoutent d’obtenir leur plus faible score depuis plus d’un siècle, à environ 25 %. La Suède a accueilli, en 2014 et 2015, un nombre cumulé de 250 000 demandeurs d’asile, un record. L’immigration, qui ne faisait pas partie des cinq thèmes majeurs des électeurs en 2010, figure désormais parmi les trois premières préoccupations des Suédois avec la santé et l’éducation.
Beata Milewczyk partage le stand avec Aspnak Mansy, jeune femme copte d'Egypte arrivée en Suède en 2011 et qui a rejoint les SD il y a trois mois. Comme elles, de plus en plus de Suédois d'origine étrangère (nés dans un autre pays ou dont les deux parents sont nés à l'étranger) soutiennent le parti d'extrême droite, de 2 % en 2014 à 12 % cette année. Des chiffres surprenants pour une formation qui souhaite limiter le droit d'asile aux ressortissants des pays voisins et mettre fin aux allocations pour les nouveaux arrivants. «Le débat public voit les immigrés comme un seul groupe, mais beaucoup d'entre eux sont très bien intégrés et perçoivent l'immigration plus récente comme une menace», explique Osten Walbeck, spécialiste de ces questions.
La ville de Södertälje illustre cette hétérogénéité. Les chrétiens réfugiés du Moyen-Orient représentent un tiers de la population et 53 % des habitants sont d'origine étrangère, venus par vagues depuis les années 70. C'est aussi une des communes du comté de Stockholm qui a reçu le plus de votes pour les SD en 2014. «Ceux qui sont arrivés récemment ne veulent pas apprendre le suédois, ils restent entre eux, ils profitent juste du système, soutient Aspnak Mansy. Les SD ne sont pas anti-immigration, mais ils veulent d'abord s'occuper de ceux qui sont déjà là.»
«Foyer du peuple»
Jimmie Akesson, le leader des SD, fait la distinction entre bons et mauvais immigrés, et anciens et nouveaux. «Dans notre "foyer du peuple" moderne, vous pouvez venir de n'importe où, mais si vous décidez de vous installer ici, vous devez avoir l'ambition et le désir de devenir l'un d'entre nous», a-t-il déclaré, raie sur le côté et sourire ingénu cet été. Le concept de foyer du peuple, «Folkhemmet», est le pilier du Parti social-démocrate et est devenu le symbole de l'Etat-providence. En se l'appropriant, Akesson présente son parti comme le sauveur d'un système en déliquescence, dont il a défini l'ennemi : le multiculturalisme. «L'Etat-providence est basé sur l'homogénéité culturelle. La Suède a essayé de combiner deux choses incompatibles : le multiculturalisme et l'Etat-providence», soutient Linus Bylund, ancien bras droit d'Akesson. Selon le chercheur Keith Banting, cette idée ne tient pas : «La plupart des études suggèrent que l'impact des politiques multiculturalistes sur l'Etat-providence est mince.»
La rhétorique des SD semble toutefois fonctionner, d'autant qu'elle capitalise sur l'inquiétude croissante des Suédois face à de la chute vertigineuse de leur système scolaire dans les classements internationaux et les files d'attentes de plus en plus longues pour l'accès aux soins. «Le parti a réussi à lier l'immigration à l'état actuel du modèle social suédois», note Ann-Cathrine Jungar, spécialiste de l'extrême droite dans les pays nordiques.
«Stratégie d’isolement»
Cette nouvelle identité permet d'occulter les origines des SD. La semaine dernière, une enquête révélait que huit membres du parti avaient appartenu à des formations néonazies. «Les SD sont perçus comme plus modérés auprès des électeurs, mais les autres partis ont maintenu leur stratégie d'isolement», analyse Ann-Cathrine Jungar. Depuis l'entrée au Parlement des SD en 2010, aucun parti n'a accepté de coopérer avec eux. Le leader des Modérés, Ulf Kristersson, seul allié envisageable, a longtemps éludé la question lors de la campagne et a finalement assuré qu'il n'en serait pas question, quelques jours avant le scrutin. Un positionnement purement stratégique, aime à croire Linus Bylund : «Je mettrais ma main à couper qu'après les élections, les négociations commenceront.»