Elle arrive en longue tunique blanche sur pantalon large pour camoufler sa maigreur et dissiper une persistante impression de «fragilité». A 60 ans, Marina Silva, icône écologiste du Brésil et dissidente du Parti des travailleurs (PT) de Lula, est en lice pour la troisième fois pour le palais présidentiel du Planalto. Le premier tour des élections générales (présidentielle, législatives et régionales) se tiendra le 7 octobre. Le week-end du 25 août, Libération a suivi 24 heures de campagne de la candidate de Rede Sustentabilidade, le parti qu'elle a créé en 2015, à São Paulo et Mauá, dans la ceinture industrielle de la capitale économique du Brésil. Flashs, selfies, sourires. Celle que tout le monde appelle par son prénom se prête au jeu. Nous sommes à Capão Redondo, banlieue défavorisée de São Paulo. En ce dimanche glacial, «Marina» est venue pour une rencontre avec une quinzaine de femmes de couleur. Elle a habilement approché l'électorat féminin, majoritaire (52 %) et encore en bonne part indécis, avec le retrait forcé de Lula, qui était le grand favori mais ne pourra pas se présenter. L'ancien président (2003-2010) purge depuis le 7 avril une peine de prison pour corruption. Aux meetings, celle qui fut durant cinq ans sa ministre de l'Environnement préfère les petits comités. C'est sa façon de faire de la politique «autrement».
Questions rudes
On prend place dans un salon aux murs délavés. Une médiatrice déroule son parcours de survivante, son meilleur atout. Maria Osmarina Silva a grandi dans la forêt amazonienne de l'Etat d'Acre, connu la faim et diverses maladies - hépatite, malaria, leishmaniose, contamination au mercure -, travaillé comme employée domestique et seringueira, extractrice de latex. Avec Chico Mendes, leader des seringueiros et militant écologiste, assassiné en 1988 par des propriétaires terriens, elle a pris part à des empates, boucliers humains formés autour des arbres pour empêcher le défrichement, puis fondé la branche locale de la puissante Centrale unique des travailleurs, liée au PT. Une trajectoire hors du commun, qui rappelle celle d'un Lula, les «affaires» en moins. «Lui mis à part, elle est la seule à parler aux pauvres», commente Helena Chagas, chroniqueuse politique. Marina Silva récupère d'ailleurs une partie des intentions de vote du leader de gauche. Elle, «femme noire née dans la pauvreté», comme ces femmes qui l'écoutent, a troqué sa prose tortueuse (le «marinais», brocardait la presse) par des mots simples : «J'ai été analphabète jusqu'à 16 ans, mais j'ai quand même réussi à faire des études. Tout le monde a le même potentiel. Ce sont les opportunités qui manquent.»
La patronne d'un salon de coiffure afro se plaint des taux d'intérêts élevés ? La candidate s'abstient de critiquer nommément Lula, mais dénonce sa politique de soutien aux multinationales brésiliennes. L'écologie est diluée, forcément, même si Marina Silva reste la seule candidate à inscrire dans son programme le développement durable, «sustentabilidade», qui donne son nom au parti. L'assistance est informée et aguerrie, loin des stéréotypes sur la periferia. Les questions sont rudes. «Que ferez-vous contre le racisme structurel ?» «Contre contre les violences domestiques ?» «Contre l'emploi massif des pesticides ?» «Et le Smic de moins de 200 euros, vous allez pouvoir le relever si vous êtes élue ?» interpelle une pasteure pentecôtiste. L'intéressée récuse la «démagogie», rappelle la crise économique, mais présente comme une promesse ce qui serait plutôt une mesure d'austérité : «Nous allons préserver le pouvoir d'achat du salaire minimum.» «Autrement dit, il n'y aurait pas d'augmentation supérieure au taux d'inflation ?» reformule une journaliste. «Nous allons préserver le pouvoir d'achat du salaire minimum», répète la candidate, un rien irritée. «Elle ne te regarde pas, elle ne te répond pas», s'agace la journaliste. La pasteure n'a rien vu. Et s'exclame : «Marina, je vote pour vous ! Je suis contre Jair Bolsonaro», le candidat d'extrême droite qui pointe en tête des sondages avec 22 % des intentions de vote [lire encadré]. Marina Silva est deuxième, avec 12 à 16 % selon les sondages. Sur les discriminations salariales à l'encontre des femmes ou le port d'arme, c'est elle qui affronte le mieux l'ex-militaire. Parfois, il est vrai, à coups de références bibliques.
Convertie en 1996 alors qu'elle était malade, Marina Silva est une fervente évangélique. «On la dépeint en fondamentaliste mais rien dans sa carrière ne permet d'affirmer que la religion influence son action politique», défend Rodrigo, militant de Rede. Catholique sur le papier mais «baptisé» par un pasteur en 2016, Bolsonaro s'est lancé dans une surenchère conservatrice pour lui ravir l'électorat évangélique (25 % du total). Et il y est parvenu. Car si elle est contre l'IVG «à titre personnel» et à l'inverse de son colistier, Eduardo Jorge (Parti Vert), Marina Silva propose la tenue d'un plébiscite sur la dépénalisation de l'avortement. Tandis que, pendant ses treize années au pouvoir, le PT a interdit le débat, sous l'influence des lobbys religieux…
Dans un Brésil dévasté par la corruption, la leader de Rede veut incarner le renouveau, les bonnes pratiques en politique. «Elle représente une alternative institutionnelle capable de rallier les modérés de gauche comme de droite, et qui peut se targuer d'un vote populaire», commente le politologue Giuseppe Cocco. En 2010, Marina Silva émergeait déjà en troisième position, raflant 20 % des suffrages. Même score en 2014, après avoir succombé à la campagne agressive de Dilma Rousseff, dont elle a un temps menacé la réélection. Le PT l'a présentée en néolibérale prête à affamer le peuple, parce qu'elle a défendu l'indépendance formelle de la Banque centrale, qui était pourtant déjà une réalité. Cette année, elle testera son prestige à gauche, après son soutien à l'impeachment discutable de la dauphine de Lula, en 2016, qui a causé des défections au sein de Rede. Des intellectuels ont claqué la porte, accusant le parti et sa principale figure d'«ambiguïté», voire de s'esquiver sur les réformes économiques du très impopulaire Michel Temer.
Part infime
On avait retrouvé Marina Silva à l'aéroport, la veille. Elle était arrivée en majesté, arborant un de ces colliers qu'elle confectionne elle-même à partir de graines d'Amazonie, son rouge à lèvres à base de betterave et son éternel chignon. Il y a en elle une sorte de retenue, comme si elle ne descendait pas de son piédestal. Nous voici à Mauá, ancien bastion du PT. Les drapeaux claquent sur la place où Marina Silva est venue lancer ses candidats aux divers sièges en jeu. «Tu maintiens l'utopie», lui dit l'un d'eux, un blond très BCBG. Son électorat est souvent féminin, telle Janaína, étudiante qui voit en elle une «battante». Ou Francine, 27 ans, classe moyenne : «Elle pense à la fois à l'homme et à la nature.»
Marina Silva passe pour une outsider. Elle refuse de s'allier aux grands partis, habitués à marchander leur soutien et au clientélisme. Du coup, elle n'a qu'une part infime (21 secondes) du temps de parole dédié à la publicité télévisée des candidats ainsi que des financements publics de campagne, répartis selon le nombre de sièges des coalitions. «Ce n'est pas la télé ni l'argent qui vont définir le scrutin, mais l'électeur», martèle-t-elle. Gouverner sans majorité ? «Je dialoguerai avec les gens de bien. Il y en a dans tous les partis.» «Marina doit décider si elle veut diriger un mouvement, à la Gandhi, ou bien l'exécutif», a lâché un jour Eduardo Giannetti, son conseiller économique. Airton, un chômeur de Mauá, pose un œil narquois sur le mélange de bobos et de gens du peuple qui entourent la candidate. Lui a toujours voté PT. Alors sans Lula, il ne sait plus. Et Marina ? L'homme fait un sourire entendu : «Au fond, elle est politicienne.»
Jair Bolsonaro va mieux: il s'est laissé photographier à l'hôpital. Le candidat d'extrême droite, en tête des sondages (22% d'intentions de vote), a frôlé la mort jeudi après avoir été poignardé. Mais il ne fera plus campagne dans la rue ni ne prendra part aux débats. Pour le politologue Carlos Melo, cet acte devrait l'aider à ne pas perdre de voix. Selon un sondage, 44% des Brésiliens refusent de voter pour lui. Les accusations de sexisme et d'apologie de la violence (il prône un port d'arme moins encadré) par le candidat Geraldo Alckmin (droite) ont porté. Mais les opposants de Bolsonaro devront baisser le ton un temps. «Ensuite, l'association entre ses bannières et l'agression dont il a été victime seront inévitables», dit Melo. C. Ra.