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Chaos

Irak : à Bassora, le drame sanitaire catalyse la crise politique

La révolte sociale et l’hospitalisation de plus de 30 000 personnes pour des intoxications dans la deuxième ville réveillent toutes les plaies de l’Irak. Les manifestations ont dégénéré ces derniers jours, faisant 12 morts et plusieurs bâtiments publics incendiés.
Un manifestant devant le consulat iranien vendredi. (Photo Haidar Mohammed Ali. AFP)
publié le 10 septembre 2018 à 19h22

Le mouvement de protestation qui dure depuis des semaines contre la corruption et la défaillance des services publics dans la deuxième ville d'Irak (3 millions d'habitants) est monté d'un cran. La colère de la population a été exacerbée après l'hospitalisation de plus de 30 000 personnes pour des intoxications dues à de l'eau polluée distribuée par les autorités.

Ce drame sanitaire survient après l'annonce de recettes pétrolières record par l'Irak, provenant majoritairement de la riche province du sud qui n'en tire aucun bénéficie pourtant. Début juillet, le gouvernement avait annoncé le déblocage d'urgence de budgets et d'investissements de plusieurs milliards de dollars pour Bassora. Mais ces décisions sont «restées lettre morte» selon une députée de la ville.

Ce lundi, pour la première fois, le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, est venu en visite à Bassora pour tenter de reprendre les choses en main et surtout sauver sa propre peau. Car les événements se sont précipités depuis l’embrasement de vendredi. Outre une douzaine de manifestants tués, les sièges du gouvernorat et du consulat du très influent voisin iranien ont été incendiés tandis que la plupart des sièges de groupes armés et de partis, dont celui du Premier ministre, ont également été mis à sac.

Table retournée

Première conséquence politique des violences, «la table s'est retournée contre Abadi», selon le site d'information irakien Al-Alam Al-jadid. En effet, samedi, à l'issue d'une réunion de crise au Parlement, le Premier ministre a été lâché par le leader populiste Moqtada Sadr qui, après de longues tractations, devait former un gouvernement avec lui. Chef du mouvement arrivé en tête des élections de mai, Sadr a réclamé la démission du gouvernement en se tournant vers la formation chiite rivale d'Abadi pour former un futur gouvernement.

Le deuxième défi a été lancé sur le terrain à Bassora par les milices qui cherchent à prendre le relais des forces de sécurité défaillantes du gouvernement central. Les groupes pro-iraniens du Hach Chaabi (la mobilisation populaire) ont fait descendre leurs hommes dans les rues pour garantir la sécurité après que leur siège a été incendié.

Ils ont multiplié dans le même temps menaces et intimidations ces derniers jours envers les militants de la protestation locale. Ceux-là les accusent de l'enlèvement de plusieurs jeunes et de harcèlement moral envers les manifestantes femmes. Aussitôt après, la brigade rivale Al-Abbas a annoncé l'envoi de 1 000 de ses combattants pour des «missions humanitaires» à Bassora.

Lutte d’influence

En troisième lieu, la crise de Bassora a réveillé une lutte d'influence que se livrent l'Iran et les Etats-Unis en Irak. Un député de Bassora et d'autres responsables locaux proches de Téhéran ont déclaré que «le consulat américain et certaines organisations de la société civile sont totalement responsables» des violences, en plus des défaillances du gouvernement.

Une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux contre une journaliste militante, Riham Yaakoum, affichant une photo de la jeune femme avec le Consul américain à Bassora. Accusée de «trahison et intelligence avec des puissances étrangères», Riham Yaakoum a expliqué être «régulièrement invitée par le Consulat américain comme par d'autres consulats et avec d'autres jeunes pour des activités culturelles ou sociales».

Pendant sa tournée des responsables locaux lundi, Abadi a encore promis de «trouver des solutions garantissant une vie digne aux habitants de Bassora». Les meneurs de la protestation de Bassora dont les chefs de tribus influents ont donné au gouvernement un délai pour tenir ses promesses de remettre en route les services publics. C'est sans doute trop peu et trop tard pour apaiser la colère de la province.