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Libération
Interview

Laurence Tubiana : sur le climat, «tous les ministères doivent contribuer»

publié le 11 septembre 2018 à 21h16

Présidente de la Fondation européenne sur le climat et négociatrice principale à la COP 21, Laurence Tubiana participe au Global Climate Action Summit, de ce mercredi jusqu’à vendredi, à San Francisco.

La société civile avance-t-elle plus vite que les gouvernements ?

C’est certain. On a pu le voir avec la marche pour le climat du 8 septembre. A San Francisco, on va voir que les acteurs les plus mobilisés sont les villes. Elles doivent parfois se battre contre leur gouvernement pour mener à bien des mesures en faveur de l’environnement, comme Hambourg, Berlin et Paris sur les transports bas carbone. Elles y arrivent parce que les habitants de ces villes sont derrière leur maire.

Quelle a été votre réaction après la démission de Nicolas Hulot, le 28 août ?

J’ai été marquée par le défaitisme des réactions qui ont suivi. On peut perdre une bataille mais pas baisser les bras. La prise de conscience de la gravité de cet enjeu planétaire est essentielle mais les discours «il est trop tard, nous ne pouvons plus rien faire» sont faux et inacceptables éthiquement. Depuis Rio en 1992, l’évolution du système économique en faveur de l’environnement est considérable. Mais ce système est tellement prédateur que les changements ne vont pas assez vite pour enrayer les bouleversements planétaires qu’il provoque.

Que peut-on attendre du gouvernement français ?

Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), nous avons besoin d’un énorme effort d’investissement en faveur d’innovations technologiques bas carbone et pour les énergies renouvelables. Surtout, on doit mieux maîtriser la consommation d’énergie car elle doit être divisée par deux d’ici 2050. Dans la loi transports, dont certains points sont encore en discussion, il est urgent d’insérer l’enjeu du climat, de réorienter les subventions qui vont aujourd’hui aux énergies fossiles et bien sûr de développer les transports en commun et l’électrification des véhicules. La croissance de 3,2 % des gaz à effet de serre français en 2017, par rapport à 2016, est due au secteur des transports et du bâtiment. Toutes ces avancées seraient une première étape à réaliser rapidement.

Et à moyen terme ?

Une grande réflexion doit être menée sur la fiscalité environnementale. L'augmentation de la taxe carbone [payée sur les carburants à la pompe, ndlr] est un réel progrès. Mais il faut encore corriger les inégalités sociales provoquées par cette taxe. De manière générale, il est temps que le gouvernement se dote d'une feuille de route sur le climat qui dépasse le ministère de la Transition écologique. Tous les ministères doivent être mis à contribution. C'est une obligation légale établie par la directive sur la gouvernance de l'Union européenne sur le climat et l'énergie. Elle oblige la France à rendre un plan en 2019.

Les Etats sont-ils disposés à faire de grandes avancées à l’occasion de la COP 24, en Pologne en décembre ?

La COP 24 sera un moment clé pour la mise en œuvre de l’accord de Paris. Les Etats se sont engagés à revoir à la hausse leurs objectifs établis en 2015. Actuellement, leurs engagements nationaux sont trop faibles et, s’ils sont respectés, ils nous mèneraient à une augmentation de 3,7°C à 4°C pour 2100. Les conséquences seraient catastrophiques. En 2020, l’accord de Paris devient effectif. Il comprend une clause qui force les pays à rattraper leur retard et établir des plans cohérents avec la limitation de l’augmentation des températures à au moins 2°C. Symboliquement, la COP 24 sera importante alors que la diplomatie américaine continue de faire pression pour que l’accord de Paris soit torpillé et que l’Australie a reculé dans ses engagements.

Photo Reuters