Menu
Libération
Analyse

La Hongrie plus obsédée par les migrants que désireuse d’Union

Malgré les perches tendues par ses camarades du PPE, Viktor Orbán a préféré tenir tête au Parlement de Strasbourg, ses positions anti-immigration étant largement soutenues par ses électeurs.
La députée européenne (Verts) Judith Sargentini, rapporteure sur l’Etat de droit en Hongrie, est applaudie par des élus après le vote, mercredi à Strasbourg. (Photo Vincent Kessler. Reuters)
publié le 12 septembre 2018 à 20h46

Le vote du Parlement européen ? Rien qu'une «petite vengeance des politiciens pro-immigration», a réagi à Budapest Péter Szijjárto, ministre hongrois des Affaires étrangères, qui n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. La décision des eurodéputés est «l'ultime preuve que le Parlement européen compte une très grande majorité de politiciens pro-immigration». Le chef de la diplomatie a fait un copié-collé de la rhétorique de Viktor Orbán ; mardi, dans l'arène, le chef de la droite magyare avait soigneusement évité le débat sur les atteintes à la démocratie en Hongrie. Pour se concentrer sur son dada, voire son obsession : la migration. Une attitude dictée par des objectifs de politique intérieure.

Imaginaire

Car c'est en attisant matin et soir la peur des migrants que Viktor Orbán a remporté les législatives hongroises, qui lui ont assuré une confortable majorité des deux tiers des sièges au Parlement. «Il pense qu'il peut surfer sur cet élan pour gagner les élections européennes de 2019, grâce à la même stratégie de communication», analyse Péter Balázs, ancien ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement socialiste-libéral. Une stratégie fondée sur un ennemi imaginaire : les migrants. «Il n'y en a pratiquement plus qui se risquent en Hongrie à cause de la clôture frontalière et du traitement inhumain des réfugiés par les autorités magyares. Pourtant, les Hongrois croient à la menace d'une invasion migratoire qui altérerait leur culture. Ils gobent tous ces mensonges.» Pour relayer sa propagande, le Premier ministre dispose d'un empire médiatique.

«Coincé»

Viktor Orbán aurait pu saisir la perche tendue par Manfred Weber, le chef du PPE, qui lui demandait d’amender deux lois jugées liberticides : celle sur les ONG, accusées de soutenir l’immigration illégale, et celle qui vise, selon plusieurs observateurs, à bannir l’université d’Europe centrale de Hongrie. En échange, Weber l’assurait de son soutien et le déclenchement de l’article 7 aurait peut-être pu être évité. Mais l’homme fort de Budapest a choisi la confrontation.

«Ces lois étaient au cœur de la campagne électorale d'Orbán. Les modifier aurait signifié pour lui un déficit de légitimité. Et puis cette proposition de Manfred Weber visait peut-être à piéger Orbán», juge Agoston Sámuel Mráz, directeur du think-tank Nézöpont, fondé et financé par le parti du Premier ministre. Cet analyste se dit convaincu que la stratégie pugnace bénéficiera au Premier ministre : «Aux deux dernières élections européennes, son parti a obtenu 56 % et 52 % des suffrages. En 2019, il pourrait bien rafler 60 %. Cela peut renforcer sa position sur la scène européenne : Orbán est aujourd'hui un vrai rival pour Emmanuel Macron.»

Pour István Hegedüs, président de l'Association hongroise pour l'Europe, Viktor Orbán obéit plus «à un choix émotionnel que rationnel. Il est coincé dans le rôle du personnage qui ne fait pas de concessions et choisit la voie radicale. Mardi, au Parlement, sa colère était réelle, il a même attaqué Manfred Weber. Il était indigné que ses amis conservateurs du PPE le lâchent. Il pense qu'ils l'ont trahi sous la pression des socialistes et des libéraux.» Reste à voir si l'opposition hongroise surmontera ses divisions et sa fragmentation pour présenter Orbán comme un «antieuropéen».