En première ligne face à Florence, la Caroline du Nord découvre ce vendredi matin l'ampleur des dégâts. S'ils s'avèrent catastrophiques, c'est en partie la faute des élus du Congrès local qui, il y a six ans, ont choisi de rejeter les mises en garde des scientifiques au profit d'un développement effréné des régions côtières : tout commence en 2010, avec la publication d'un rapport de la Commission des ressources côtières, une agence officielle, consacré à la montée du niveau de la mer et à ses conséquences. Les chercheurs prévoient une hausse pouvant aller jusqu'à un mètre d'ici à 2100, ce qui plongerait sous les eaux plus de 5 000 km2 de terres et d'innombrables bâtiments valant des milliards de dollars.
Prévisions
Les élus républicains, majoritaires à la Chambre et au Sénat de l'Etat, rejettent ces conclusions. Poussé notamment par le lobby de la construction, qui finance les campagnes politiques et redoute l'abandon de juteux projets immobiliers, le Congrès local vote en 2012 une loi qui ordonne aux autorités chargées de l'aménagement côtier d'ignorer ces prévisions scientifiques. La loi stipule qu'à l'avenir, toute projection sur la montée des eaux devra se fonder uniquement sur les données historiques, balayant toute accélération du phénomène. L'adoption de ce texte vaut à la Caroline du Nord critiques et moqueries. «Si la science vous donne un résultat que vous n'aimez pas, adoptez une loi en disant que le résultat est illégal. Problème résolu», ironise à l'époque le célèbre humoriste Stephen Colbert.
Six ans plus tard, le constat est sans appel : en dépit des risques accrus d'inondation, y compris lors des grandes marées, la population continue de croître et les projets immobiliers de se multiplier le long des côtes. Le comté de Brunswick, dont les autorités ont ordonné l'évacuation totale avant l'arrivée de Florence, est celui de l'Etat où la population augmente le plus : + 22 % depuis 2010, + 79 % depuis 2000. La tendance n'est pas propre à la Caroline du Nord. En 2010 aux Etats-Unis, 39 % de la population vivait dans les comtés côtiers, qui représentent à peine 10 % de la superficie du pays. Selon l'agence fédérale NOAA, cette part pourrait monter à 42 % en 2020.
Pour loger cette population, les projets immobiliers prolifèrent, devenant autant de nouvelles cibles pour des phénomènes climatiques dopés au réchauffement de la planète. «Le développement continu le long de la côte Est et du golfe du Mexique va probablement augmenter les dommages liés aux ouragans, simplement en augmentant la valeur des propriétés exposées aux dégâts», avertissait en 2016 un rapport du très sérieux Congressional Budget Office (CBO), le bureau de prévision du Congrès fédéral.
Dans certains Etats comme la Virginie, le New Jersey ou celui de New York, les autorités ont pris des mesures pour décourager le développement immobilier dans les zones à risques ou racheter des maisons bâties en zone inondable. Avec un succès mesuré, la ville de New York a ainsi lancé un programme de rachat de maisons après le passage ravageur de l’ouragan Sandy, en 2012.
«Plan tacite»
Contrôlée par des républicains majoritairement climatosceptiques, la Caroline du Nord, elle, refuse pour l'heure de s'adapter. «A l'heure actuelle, le plan tacite est d'attendre que la situation devienne catastrophique pour y répondre, déplorait il y a quelques jours Orrin Pilkey, géologue côtier à la retraite, dans une tribune au journal local News & Observer. Nous devons avoir une vision à long terme et répondre maintenant à la montée des océans de façon planifiée. Nous devons commencer à battre en retraite.»
Faute de quoi, soulignent les experts, la facture des catastrophes naturelles risque de se révéler de plus en plus salée. Sur les dix ouragans les plus coûteux de l'histoire américaine, neuf ont frappé au cours des deux dernières décennies. Et deux, Harvey (125 milliards de dollars) et Irma (50 milliards), pour la seule année 2017.