Menu
Libération
Interview

«L'échec des accords d'Oslo ne signifie pas qu’il existe une meilleure façon d’y arriver»

Vingt-cinq ans après la signature des accords d'Oslo à Washington, l'ex-ambassadeur américain à Tel-Aviv sous Obama revient sur les occasions manquées et les dégâts causés par la stratégie de Trump.
Le président américain Clinton au milieu de Rabin (à gauche) et Arafat, lors des accords d'Oslo en 1993. (Photo J. David Ake. AFP)
publié le 13 septembre 2018 à 7h49

L'image n'a rien perdu de sa charge émotionnelle. En ce 13 septembre 1993, sur la pelouse de la Maison Blanche, le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, qui promettait de «briser les os» des Palestiniens durant la première intifada (1987-1991), empoigne la main du vieux fedayin Yasser Arafat. Au centre, bras tendus comme pour forcer l'embrassade, le président américain Bill Clinton, symbole d'une Amérique comme pont entre Israéliens et Palestiniens. Les premiers documents constituant les accords d'Oslo, qui donneront naissance à l'Autorité palestinienne, sont paraphés.

En ligne de mire : la paix d'ici à cinq ans, par étapes, basée sur la solution à deux Etats. On connaît la suite. En novembre 1995, Rabin est assassiné. La droite israélienne revient au pouvoir. La colonisation s'accélère. La seconde intifada démarre, suivie de la construction du mur de séparation, de l'arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza, etc. Depuis presque une décennie, Benyamin Netanyahou, le plus virulent des anti-Oslo, est solidement installé à la tête de l'Etat hébreu. En Donald Trump, il a trouvé un allié zélé, dont l'approche du conflit rompt avec les grands principes d'Oslo. Comme un dernier clou dans le cercueil d'accords à l'état végétatif depuis deux décennies. Selon un sondage publié mercredi, 70% des Palestiniens pensent que leur condition est «pire qu'avant les accords d'Oslo».

Daniel B. Shapiro fut l'ambassadeur américain à Tel-Aviv de 2011 à 2017, sous la mandature de Barack Obama. Aujourd'hui expert rattaché à l'INSS (Institute of National Security Studies) de Tel-Aviv, il doute à la fois de la méthode brutale de Donald Trump tout comme de la volonté des Israéliens et Palestiniens de mettre fin au conflit.

Il règne une forme de consensus selon lequel les accords d’Oslo furent un échec. Partagez-vous cette idée ?

Si la paix était le but des accords, alors, oui, on peut parler d'échec. Mais cet échec ne signifie pas qu'il existe une meilleure façon d'y arriver. L'un des succès d'Oslo, c'est d'avoir établi que la fin du conflit implique la solution à deux Etats. Le problème, c'est que les textes étaient flous sur des points essentiels comme l'arrêt de la colonisation ou la reconnaissance d'Israël en tant qu'Etat juif par les Palestiniens. Cela a miné les conditions pratiques permettant d'y parvenir.

L'autre réussite, c'est la création de l'Autorité palestinienne, aussi problématique et frustrante qu'elle puisse être : à la fois encore capable d'incitations à la violence, de soutien aux familles des terroristes et affaiblie par la division avec le Hamas et la perte de contrôle sur Gaza. Mais il faut souligner que l'Autorité palestinienne continue de coopérer avec les Israéliens de façon très professionnelle et efficace dans la lutte contre le terrorisme.

Donald Trump a tourné le dos à l’orthodoxie instaurée par les accords d’Oslo – sur la solution à deux Etats, le soutien à l’Autorité palestinienne. Les derniers «restes» des accords en somme…

Le plus problématique, c'est de ne plus parler de deux Etats. C'était la position américaine depuis des décennies. Elle a été remplacée par de vagues déclarations validant «quoique ce soit que les deux parties parviennent à arranger». C'est à se demander s'il y a un effort sérieux de résolution du conflit. La stratégie américaine actuelle est d'augmenter continuellement la pression sur les Palestiniens. De les punir même. L'idée étant que la dégradation de leur situation les poussera à accepter une proposition au rabais. Trump tente d'importer ses marchandages de businessman sur le plan diplomatique. Mais ça ne fonctionne pas dans ce type de conflit. Ici, on ne parle pas de négocier le prix du ciment pour construire un gratte-ciel avec le nom «Trump» tout en haut. Ce qui est en jeu, ce sont des questions profondes d'identité, de sécurité, de reconnaissance de l'autre.

De plus, même si la cause palestinienne n'est plus aussi centrale dans les pays arabes, il reste un consensus international sur la solution à deux Etats. Et les Palestiniens peuvent raisonnablement espérer que la prochaine administration américaine reviendra à ce principe, peut-être d'ici à deux ans. Donc imaginer que les Palestiniens transigent sur leur objectif national est illusoire. Dans des conflits si profonds, les parties n'abandonnent pas : elles se battent pour vivre un jour de plus.

Beaucoup doutent que le fameux «deal ultime» promis par Trump voie même le jour…

La présentation du plan est plus qu'incertaine. La reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël – ce que j'ai soutenu mais qui aurait dû se faire selon les paramètres d'Oslo, c'est-à-dire la promesse de l'établissement d'une capitale palestinienne à Jérusalem-Est à l'issue de négociations – a rompu tout contact avec les Palestiniens. Même s'il existe un plan, les Américains n'ont plus personne à qui le présenter. Et le calendrier politique n'est plus favorable. Les élections de mi-mandat arrivent aux Etats-Unis, une élection anticipée en Israël est probable dès le début de l'année prochaine. Peu importe la substance du plan (réaliste, basé sur les précédentes négociations ou au contraire, si biaisé qu'aucun leader palestinien ne pourrait accepter d'en discuter), il n'y a plus vraiment de fenêtre pour le dévoiler.

Avec la fermeture des bureaux de l’OLP à Washington et l’arrêt des fonds américains, que reste-t-il des relations américano-palestiniennes ?

Il y a encore une coopération tangible sur la sécurité, le dialogue avec la CIA existe toujours. Est-ce que cela peut durer si les relations politiques et économiques sont rompues ? Il y a un vrai risque que la pression actuelle mette en péril cet acquis, très cher aux Israéliens par ailleurs.

En tant que membre de l’équipe de John Kerry lors des précédentes tentatives de négociations, pensiez-vous que la résolution du conflit était envisageable ?

Je ne crois pas que lors de ces dix dernières années, il y ait eu une possibilité de paix. Netanyahou et Mahmoud Abbas [le président palestinien, ndlr] n'ont aucune confiance l'un dans l'autre, ont des visions totalement opposées et évoluent dans des contextes domestiques compliqués. La communauté internationale aurait sans doute pu mieux faire, mais je n'arrive pas à croire qu'avec ces deux leaders la fin du conflit soit possible. Aujourd'hui, un changement de leadership de chaque côté est nécessaire pour y arriver.

En 2009, Netanyahou a vécu une brève transformation : pendant un temps, il a compris la logique de la solution à deux Etats et son intérêt pour les Israéliens. Depuis, il est revenu à sa position initiale, plus confortable pour lui, qui est de dire : «Le conflit est insoluble, le statu quo est gérable.» Il est resté dans cet entre-deux. Sa base ne veut pas d'Etat palestinien, mais il n'est pas encore prêt à céder à l'aile la plus extrême de sa coalition qui milite pour l'annexion complète de la Cisjordanie. On peut imaginer que pour le reste de sa carrière politique, il fera tout pour maintenir la situation telle qu'elle est actuellement.