Comme souvent, la Bourse danse. Comme toujours, sur un volcan. Dix ans après le krach de 2008, en dépit de méritoires efforts de régulation, les maîtres de la finance ont reconstitué le casino mondial qui a failli jeter bas l’économie mondiale. Alimentés par des milliards de milliards d’argent facile, l’endettement et la spéculation ont fait gonfler une nouvelle bulle financière, aussi gigantesque que naguère. Son éclatement pend au nez de ces apprentis sorciers qui n’apprennent jamais rien, obnubilés par le rendement à court terme de leurs placements et fascinés par la noria planétaire des capitaux et des profits. Situation loufoque : un Himalaya de dettes publiques et privées surmonte un océan de liquidités. Un pognon de dingue manipulé par les dingues du pognon. Après Lehman Brothers, Marx Brothers, ou l’économie selon Groucho. On dira que cette aisance monétaire était de toute nécessité. Sans elle, le système bancaire aurait sauté et la croissance mondiale se serait changée en destructrice récession. Les banquiers centraux accrochés à leurs dogmes ont dû jeter par-dessus les moulins leurs convictions les mieux établies pour fabriquer de la monnaie comme dans une corne d’abondance. C’est un fait qu’ils ont sauvé la baraque au plus fort de la crise. Mais les têtes dures du tout-marché devraient réfléchir à une remarque toute simple : une fois la panique évitée, fallait-il se contenter de doper la croissance à coups d’assignats numérisés ? Si le corps économique a besoin de cette drogue, c’est aussi parce qu’il lui manque sa vitamine naturelle, une augmentation régulière du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes, qui absorbe la production et permet d’éviter le blocage de la machine. On a préféré soigner les hauts revenus mais le ruissellement annoncé n’a pas eu lieu. L’argent est tombé en cascade dans la poche des argentés, qui l’ont dépensé en spéculations douteuses et en placements immobiliers. Le blocage du pouvoir d’achat s’est traduit par un endettement sans fin. L’inégalité est un facteur de déséquilibre social mais aussi financier. Les pays émergents sont bousculés par des crises monétaires, les consommateurs américains maintiennent leur niveau de vie grâce aux emprunts, les Etats confrontés à leur propre endettement ne peuvent plus voler au secours du secteur privé, les Banques centrales aux bilans dégradés ont épuisé leurs munitions. Une banqueroute à la Lehman Brothers - toujours possible tant les banques, dans plusieurs pays comme l’Italie ou même l’Allemagne, restent fragiles - laisserait les gouvernements sans défense. Qu’un accident survienne et le château de cartes s’effondrera. Imaginons que la catastrophe se produise : on voit le parti qu’en tireront les forces populistes et nationalistes pour pousser en avant leurs solutions démagogiques et leur exaltation des nations-refuges. On a évité une fois la répétition de la crise des années 30. La deuxième fois aura un tout autre visage : colère redoublée des peuples, violente accusation des élites, haro sur la mondialisation, assèchement du crédit, faillites publiques et privées, chômage massif, fermeture des frontières, aux hommes comme aux marchandises. Tels des cavaliers de rodéo, les gouvernements démocratiques ne resteraient pas longtemps en selle. Pas sûr ? Certes. Croisons les doigts…
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