«Mon engagement pour le ver de terre vise à lui faire obtenir le statut de réfugié politique, lui qui subit de plein fouet la politique agricole, une politique qui s'est nettement durcie ces trente dernières années», écrit l'auteur d'Eloge du ver de terre, Christophe Gatineau. L'agronome passionné par la bestiole voudrait faire inscrire la protection de son protégé dans la loi. «Comme s'il n'existait pas, le lombric terrestre brille par son absence dans les textes officiels», et même pas dans la récente loi de reconquête de la biodiversité, regrette-t-il. La littérature scientifique l'a longtemps ignoré.
Disparition inquiétante
Pourtant, notre futur dépendrait de l'avenir du ver de terre, aujourd'hui mal en point. Et de citer l'astrophysicien Hubert Reeves qui déclarait en mai 2018 sur le plateau d'Envoyé spécial : «La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces.» Il précisait que la population était décimée à 70, voire 90%. Le ver de terre représentait jusqu'ici la moitié de la masse totale des animaux terrestres en zone tempérée. Selon les chiffres avancés par l'auteur, on en trouve 50 kilos dans les sols d'un hectare de grandes cultures arrosées aux produits chimiques, contre 4 tonnes dans les prairies permanentes en climat humide.
Une image colle à la peau de la bébête : celle de nuisible, mangeur de racines. Or il est «le partenaire ancestral de l'agriculteur». Son activité aère la terre. Toute sa vie (qui peut durer 7 ou 8 ans), il fabrique des sols nourriciers en digérant les végétaux, et même parfois de petits bouts de viande. Contrairement aux idées reçues, il ne mange pas la terre, mais ce qui l'enrichit.
«Cataclysme agricole»
Comme les abeilles, les vers de terre pâtissent des pesticides. «C'est bien l'absence de nourriture due à l'abandon de la fertilisation organique et le recours à la chimie qui sont la cause première de la mort des sols vivants et de nos camarades les vers de terre», peut-on lire. Une autre menace guette : le manque de phosphore, essentiel à la croissance des végétaux. Il «passe du sol à la plante avant de se retrouver dans toutes les déjections du règne animal». Or les réserves sous terre s'amenuisent. Ce qui pourrait déboucher sur «un cataclysme agricole» dans cinquante ans. L'auteur plaide pour «remettre dans le système agricole tous les déchets de notre digestion». Cela permettrait de récupérer tout ou partie des 500 grammes de phosphore rejetés par chaque humain en un an.
Et tant qu'on est dans le vif du sujet, sachez que le ver de terre, lui, mange parfois ses déjections. «J'aime remâcher mes bouses», nous raconte un petit ver de terre avec lequel l'auteur dialogue dans le livre. Telle une vache qui rumine. «Je les consomme comme vos fromages. Avant, je les entrepose au frais dans mon terrier, puis je laisse les moisissures faire leur travail d'affinage», précise-t-il. Le ver de terre ferait donc preuve d'un peu de jugeote. Darwin disait même avoir décelé de l'«intelligence» chez lui. «Les vers de terre ont conscience de leur environnement et ils savent interagir en fonction des situations qui s'y déroulent», précise Christophe Gatineau.
Coït hermaphrodite
Les prouesses physiques sont aussi son fort. Il peut déplacer l'équivalent de 50 fois son poids, ce qui le place en deuxième place derrière la fourmi, capable de soulever 100 fois sa masse corporelle. Le lombric terrestre utilise sa force pour stocker de la nourriture dans son terrier. Aveugle, il se sert de sa tête comme un groin pour fouiller le sol, puis saisit ses trouvailles grâce à sa petite bouche, pareille à une pince à étau, et les tracte vers l'arrière.
Il peut aussi faire preuve d'une endurance remarquable. Notamment pendant l'acte sexuel. «Le rapport dure assez longtemps, plus longtemps que le coït moyen de deux êtres humains», écrit l'auteur du livre. Hermaphrodite comme l'escargot, le ver de terre porte des organes reproducteurs féminins et masculins. «L'acte consiste en un échange mutuel de sperme», est-il détaillé. «Toutefois, l'accouplement se déroulant sur le sol, leurs queues restent accrochées à l'entrée de leur terrier pour parer au moindre danger, raison pour laquelle ils s'allongent au maximum pour s'accoupler avec leur voisin le plus proche, voisin dit de palier. Comment font-ils quand ils n'ont pas de voisin ? C'est une vraie question quand la densité descend en dessous d'un certain seuil», précise une note de bas de page.
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Ce livre n'est pas qu'un éloge, comme le suggère le titre. Christophe Gatineau livre un essai «engagé» sur le fonctionnement du monde actuel, destructeur de biodiversité. L'effort de vulgarisation est à saluer, mais la lecture de l'ouvrage est laborieuse. Au fil des pages, les informations sont noyées dans de vastes considérations parfois complètement hors sujet. Le ton est pamphlétaire. On se serait passé de certains passages maladroits. Le livre nous apprend malgré tout à aimer le ver de terre, allié indispensable de l'humanité.
Eloge du ver de terre, de Christophe Gatineau, Flammarion, 224 pp, 16,90 €