Les classeurs iraniens, volume II. Jeudi, devant l'Assemblée Générale de l'ONU, le Premier ministre israélien s'est livré à son exercice favori : l'exposé anti-iranien, délivré avec l'aplomb et la théâtralité d'un gourou de la Silicon Valley. Comme il l'avait fait fin avril, en dévoilant en mondovision des archives subtilisées par le Mossad à Téhéran peu avant que le président américain, Donald Trump, ne torpille l'accord sur le nucléaire iranien, Nétanyahou a cherché à démontrer, photos aériennes et coordonnées GPS à l'appui, l'existence d'un nouveau «site de stockage atomique secret» au cœur de la capitale iranienne.
Ainsi, l'Iran continuerait de «mentir», comme il le martèle depuis des années. Et le chef de l'Etat hébreu d'asséner sa nouvelle punchline : «Ce que l'Iran cache, Israël trouvera.» Comme à son habitude, le leader israélien a cherché à monter le peuple iranien contre «les tyrans de Téhéran», les incitant même à acheter des compteurs Geiger sur Amazon pour vérifier ses dires… «Aucun show ne dissimulera jamais le fait qu'Israël est le seul régime dans notre région avec un programme d'armes nucléaires "secret" et "non déclaré"», s'est borné à répondre le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif.
Le Hezbollah directement menacé
S'adressant spécifiquement aux Européens, coupable à ses yeux d'aveuglement envers Téhéran, Nétanyahou a joué sur une corde sensible : «En tant que fils d'historien, en tant que juif, en tant que citoyen du monde qui a vécu au XXe siècle, je demande : est-ce que les leaders européens n'ont rien appris de l'histoire ?»
Féroce critique de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le leader israélien a mis au défi son directeur «d'inspecter immédiatement ce site avant que les Iraniens ne le vident» des «300 tonnes de matériaux liés au nucléaire» qu'il contiendrait. Cependant, sous couvert d'anonymat, un haut responsable américain cité par l'agence Reuters a qualifié les accusations de Nétanyahou de «trompeuses», ajoutant que les Etats-Unis avaient connaissance du site, qui serait selon lui rempli «de documents et d'archives», et non de matériaux.
Plus inhabituel, Nétanyahou a aussi directement menacé le Hezbollah en son fief libanais, exposant un «site de conversion de missiles» aux abords de l'aéroport de Beyrouth. Si Israël n'hésite pas à bombarder de telles infrastructures en Syrie dans une campagne aérienne ayant récemment brouillé ses relations avec la Russie, l'Etat hébreu évite ce type d'interventions au Liban, par crainte d'un nouveau conflit.
Croque-mitaine iranien
En Israël, la démonstration de force de Nétanyahou a été accueillie avec réserve. La première étant son utilisation de plus en plus ostentatoire de matériel classé secret-défense à des fins de propagande, qui fait grincer des dents du Mossad à l'ex-Premier ministre Ehud Barak. Mais c'est surtout la confiance, voire l'hubris, de Nétanyahou qui inquiète. Alors que le Premier ministre est soutenu sans réserve par Donald Trump (qu'il a fait longuement applaudir), les commentateurs israéliens craignent de le voir s'enfermer dans une ligne de plus en plus radicale face à l'Iran qui pourrait mener à un affrontement direct.
Enfin, la gauche israélienne se désole de voir le Premier ministre utiliser le croque-mitaine iranien pour balayer une fois encore la question palestinienne sous le tapis. Impression d'impasse renforcée par l'allocution sans souffle d'un Mahmoud Abbas abattu, quelques heures avant à la même tribune, à laquelle Nétanyahou n'a même pas réagi. Pourtant, sans même penser à un accord de paix qui n'a jamais paru aussi lointain, il y a urgence : haut gradés israéliens et émissaires onusiens craignent une nouvelle guerre imminente à Gaza, après l'échec d'une trêve négociée fin août.
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