«Je ne veux plus d'autres guerres, […] la guerre ne mène à rien.» Extraits d'un entretien à paraître vendredi dans le quotidien israélien Yedioth Aharonoth, les mots de Yahya Sinwar, le chef du Hamas, font grand bruit.
A la tête du mouvement islamiste depuis 2017, Sinwar a d'abord été craint comme l'émanation la plus radicale de la faction palestinienne. Un absolutiste violent, emprisonné vingt-deux ans en Israël. Mais ces derniers mois, c'est le profil d'un pragmatique roublard doublé d'un fin tacticien qui a émergé. L'ex-chef de guerre a redéfini les règles du jeu le long des barbelés délimitant l'enclave sous blocus, en détournant le mouvement populaire de la «Marche du retour» pour mettre la pression sur Israël, inventant une forme de militarisation de la résistance pacifique. Très durement réprimés par les snipers israéliens (180 morts), les rassemblements, dont le Hamas contrôle l'intensité, ont poussé Gaza «au bord du précipice», selon l'envoyé onusien dans la région, Nikolaï Mladenov. Jusqu'à la possibilité d'une trêve de longue durée, discutée fin août sous l'égide du Caire, au moment où l'interview en question a été réalisée par une journaliste italienne.
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Ces propos sont donc à prendre avec recul. Le Hamas a déjà commencé à en renier les extraits publiés en avant-première. Moins le fond que sur ce que symbolise le fait que leur leader s'adresse à un tabloïd israélien. Le cabinet de Sinwar jure avoir été dupé. Allégation douteuse : la première question porte sur sa volonté de parler directement aux Israéliens. Surtout, à Gaza, la situation s'est encore dégradée entre-temps, et ce frémissement optimiste apparaît déjà comme un lointain souvenir.
Pouvoir d'Abbas sous-estimé
Le coupable des tensions actuelles ? Pour tous, ou presque : le président palestinien Mahmoud Abbas, ulcéré d'être tenu à l'écart de négociations dont l'issue aurait acté à ses yeux la séparation de Gaza d'un putatif état palestinien. «Il a saboté le processus, affirme l'analyste gazaoui Mkhaimar Abusada. En cas d'accord, Abbas a menacé de couper la totalité des versements de l'Autorité palestinienne vers Gaza, [soit les 96 millions de dollars de budget épargnés par les sanctions imposées depuis plus d'un an, ndlr]. Le Hamas et l'Egypte ont sous-estimé son pouvoir de veto.»
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L'équation semble insoluble. Sinwar propose «le calme» contre la levée inconditionnelle du «siège» israélien et un échange de prisonniers. Impensable, alors qu'une année électorale s'ouvre en Israël et que les rivaux droitiers du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou rivalisent de rodomontades.
Vis-à-vis du Hamas, Abbas veut achever, toute affaire cessante, le processus de «réconciliation», relancé il y a un an et qui n'en a que le nom. Ce que réclame le raïs, c'est ni plus ni moins que le Hamas cède son arsenal militaire à l'Autorité. Une reddition justifiée devant l'Assemblée générale de l'ONU par le mantra suivant : «Une seule Autorité, une seule loi, une seule arme.»
Tableau apocalyptique
Le désarmement ? Pour Bassem Naïm, haut dirigeant du Hamas, c'est une «question imaginaire». Le dialogue avec l'Autorité? «Rompu. Nous ne parlons pas à ceux qui affament les Palestiniens.» Au centre de Gaza-Ville, un grand panneau reprend cette phrase, illustrée par un portrait du raïs la bouche dégoulinant de sang. Un récent rapport de la Banque mondiale a dressé un tableau apocalyptique des conditions de vie de l'enclave, en situation économique «critique».
Car les mesures de l’Autorité se font durement sentir à Gaza, déjà très affecté par les coupes américaines dans l’UNRWA, l’omniprésente agence onusienne dont une dizaine de cadres ont dû être évacués face à la colère des locaux. Le ressentiment monte : le porte-parole du Fatah, le parti d’Abbas, a été tabassé en pleine rue la semaine passée.
Politologue à l'université de l'Ummah de Gaza, Adnan Abou Amer dépeint à coups de métaphores l'inextricable : «Abbas trouve qu'il a été trop patient, que le Hamas l'a pris longtemps pour un distributeur de billets. Une guerre ferait ses affaires : il se dit que s'il n'arrive pas à désarmer le Hamas, Israël s'en chargera. Et le Hamas, ruiné financièrement et politiquement, se voit au casino face à Israël. En relançant la Marche du retour, il joue tapis : il détourne la colère mais peut tout perdre si la guerre éclate.»
Fébrilité
Les rassemblements à la frontière ont repris mi-septembre, à une fréquence quasi quotidienne et au déroulement de plus en plus anarchique et violent. Vendredi dernier, sept Palestiniens, le plus jeune âgé de 11 ans, ont été tués. La plus sanglante journée depuis le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem.
Jeudi, Nétanyahou a accusé Abbas «de compliquer la situation en étranglant financièrement» Gaza. A partir de là, «si le Hamas pense que la solution à cette détresse est de nous attaquer, il fait une grosse erreur.» La fébrilité gagne tous les acteurs : jeudi, Tsahal a annoncé le renfort des contingents dans le sud et l'activation des batteries antimissiles, avant un nouveau rassemblement de masse vendredi.