Menu
Libération
Arrestation

Le bras d'honneur du Parti communiste chinois à Interpol

En arrêtant Meng Hongwei pour des raisons de politique intérieure, Pékin renonce à un poste prestigieux sur la scène internationale.
Meng Hongwei, président d'Interpol, à Singapour le 4 juillet 2017. (Photo Roslan Rahman. AFP)
publié le 8 octobre 2018 à 19h00

Un petit couteau. C’est le dernier message, sous forme d’émoticône, que Grace Meng a reçu de la part de son mari le 25 septembre. Ce jour-là, Meng Hongwei, le président d’Interpol, organisation internationale de coopération policière basée à Lyon, se volatilisait à son arrivée à Pékin. Un épisode d’autant plus rocambolesque que Meng, 64 ans, est un poids lourd du Parti communiste et le vice-ministre de la Sécurité publique, le ministère de l’Intérieur chinois.

Après deux semaines de silence, et un cri d’alarme lancé par son épouse via les médias français, les autorités chinoises ont expliqué ce lundi avoir arrêté Meng Hongwei pour «avoir accepté des pots-de-vin» et «mis gravement en péril le Parti communiste au pouvoir et la police». Le tout sous «l’influence pernicieuse de Zhou Yongkang», un ancien chef des services de sécurité emprisonné à vie depuis 2014 pour corruption, et qui avait il y a dix ans nommé Meng à son poste de vice-ministre. En avril déjà, Meng Hongwei, qui a passé quarante années dans différents services de police, avait semblé discrédité, perdant sa place au sein du comité du Parti chargé de superviser les affaires de Sécurité publique après la nomination d’un proche du président chinois à la tête du ministère.

«Il est évident que la corruption n’est pas la raison principale de son arrestation, réagit le sinologue Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS et au Ceri-Sciences-Po. S’il s’agit de finir de liquider la faction de Zhou Yongkang, pourquoi le faire maintenant ? Etait-il devenu vraiment dangereux pour le Parti, allait-il passer à l'étranger ? On ne sait pas. Mais cette décision délirante prouve bien que mettre un représentant de la police chinoise à la tête d’une organisation internationale était une erreur.»

«Naïveté»

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, une des obsessions du président Xi Jinping est de donner à la Chine un rôle majeur sur la scène internationale. En novembre 2016, l'élection de Meng Hongwei à la présidence d’Interpol, deuxième organisation intergouvernementale après l’ONU, chargée de coordonner les informations envoyées par les polices nationales, avait été une grande victoire pour Pékin. Meng, premier homme politique chinois à diriger une organisation mondiale majeure, devait montrer que la Chine avait les épaules assez larges pour prendre du galon sur la scène internationale. Mais cette nomination avait soulevé des inquiétudes parmi certains observateurs, qui craignaient que l’institution ne soit manipulée par Pékin pour poursuivre à l'étranger ses ennemis politiques intérieurs, dissidents, avocats des droits de l’homme ou militants issus de minorités. Dans le passé, Meng a aussi été à la tête de la Police armée du peuple, une unité paramilitaire qui s’est fait remarquer en réprimant des manifestations, notamment au Tibet et au Xinjiang.

«Il est légitime que des représentants du gouvernement chinois soient nommés à des postes clés, étant donné le poids géopolitique de la Chine. Mais élire un cadre de la Sécurité publique, aux méthodes très éloignées des standards internationaux en matière de droit, et dont la mission première est de pérenniser le pouvoir du Parti communiste chinois, montre la naïveté et une certaine incompétence d’Interpol», analyse Nicholas Béquelin, directeur du bureau Asie orientale d’Amnesty International. L’organisation policière (qui n’a pas répondu à nos questions) a annoncé dimanche, sans plus de détails, avoir reçu et accepté la démission de son président emprisonné.

«Risque de torture»

Rien ne prouve pourtant que Meng Hongwei ait démissionné de son plein gré. «Il est détenu dans un lieu tenu secret avec un risque de torture important. Il n’a pas le droit à un avocat et ne peut pas contacter sa famille», reprend Nicholas Béquelin. Votée l’an dernier, la «loi sur la supervision» donne le droit au Parti communiste d’interroger et de détenir n’importe qui dans une procédure de discipline interne sans rendre de comptes aux institutions policières et judiciaires du pays. «La Chine tourne le dos à tous les efforts menés depuis 1978 et la fin de l'ère Mao pour construire un Etat de droit, note Nicholas Béquelin. Avec cette affaire, le Parti tombe le masque, reconnaît que les batailles de faction sont plus importantes que les objectifs de la Chine, et érige la lutte anticorruption comme instrument de discipline du Parti et d’effacement des rivaux politiques.» Plus d'1,5 million de cadres du Parti ont été sanctionnés en six ans dans le cadre de la campagne anticorruption lancée par Xi Jinping.

Cet épisode n’est pas juste un camouflet pour Interpol, qui voit son président, un des policiers les plus puissants du monde, jeté dans un cul-de-basse-fosse. Il montre aussi que le pouvoir chinois, de plus en plus autoritaire, qui laisse un prix Nobel de la paix mourir en prison, enferme par centaines de milliers ses citoyens musulmans pour «rééducation politique» ou expulse les journalistes étrangers qui lui déplaisent, ne craint pas les réactions de l'étranger. Pour Yaqiu Wang, de l’ONG Human Rights Watch, «alors que la Chine veut jouer un rôle plus important dans les affaires mondiales, la détention de Meng doit être perçue comme une alerte par les institutions internationales. Elles devraient désormais réfléchir à deux fois avant de nommer des fonctionnaires chinois à des postes de direction».