Menu
Libération

Pétrole : les Irakiens attendent toujours le ruissellement

La manne tirée de l’or noir ne profite pas à la population, largement privée des services publics les plus élémentaires. En cause, une corruption endémique au cœur de l’Etat.
publié le 9 octobre 2018 à 20h26

Les recettes pétrolières de l’Irak ont atteint en septembre un niveau record, à plus de 7,9 milliards de dollars, a indiqué officiellement le ministère irakien du Pétrole. Ce résultat est la combinaison de la hausse des cours du brut et du niveau des exportations qui a atteint des sommets ces derniers mois. Depuis janvier, l’or noir a rapporté près de 60 milliards de dollars au deuxième exportateur de pétrole de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Mais cela n’empêche pas les mouvements de protestation sans précédent, survenus l’été dernier, en particulier à Bassorah dans le sud du pays. Dans cette province qui produit 70 % du pétrole irakien, les habitants n’ont pas accès aux services publics de base tels que l’eau courante, l’électricité ou la gestion des déchets.

Corruption. Depuis 2005, selon les chiffres officiels, ce sont plus de 750 milliards de dollars (653 milliards d'euros) de recettes pétrolières qui ont rempli les caisses de l'Etat. Certes, ces deux dernières années les finances publiques du pays ont été grevées par l'effort de guerre contre l'Etat islamique. Mais le PIB a été en augmentation constante pendant la même période (172 milliards de dollars en 2016 et 198 milliards en 2017). Il devrait atteindre les 220 milliards de dollars en 2018. Une dynamique qui s'explique en grande partie par une reprise des exportations de pétrole brut (aux alentours de 3,5 millions de barils par jour) et un prix moyen en hausse.

La population, qui a le sentiment de ne pas bénéficier de ces juteuses recettes, accuse les autorités de corruption généralisée. Elle n'est pas la seule à faire ce constat. D'après l'organisation Transparency International, qui publie annuellement son «indice de perception de la corruption» dans le monde, l'Irak pointe au 169e rang sur les 180 pays recensés en 2017. Selon Kinda Hattar, coordinatrice pour le Moyen-Orient de l'organisation, «les bases mêmes de la transparence sur les revenus et le budget de l'Etat sont pratiquement inexistantes et il n'y a aucun contrôle sur les institutions publiques».

Gâchis. Pourtant, les organisations internationales ont multiplié depuis des années les rapports, les efforts et les pressions pour que l'Etat irakien se reconstruise avec rationalité et intégrité. En vain. «L'administration irakienne demeure corrompue, faible et inefficace, rongée par le népotisme et les postes fantômes dans l'administration», souligne une note récente du portail «Business et anticorruption», financé par l'Union européenne. Une «Commission de l'intégrité» a bien été mise place en 2017 par le gouvernement de Bagdad mais son efficacité se fait attendre. «Le très gros budget dont elle est dotée semble aller essentiellement dans la machine bureaucratique, estime Kinda Hattar. On ne connaît pas ses capacités et ses compétences exactes. Il y a des besoins énormes de formation et de sensibilisation aux mécanismes de contrôle et de transparence dans les comptes publics. Dans le même temps, les autres acteurs de la transparence, tels les organisations de la société civile ou les médias indépendants n'ont pas d'accès à l'information et ne peuvent donc pas questionner les pouvoirs publics.»

Journalistes et opposants irakiens ne se privent pas d'accuser et de critiquer leurs gouvernants en pointant leur défaillance et leur corruption, mais sans disposer des chiffres et des données leur permettant de documenter précisément leurs allégations. Un gâchis colossal s'est accumulé pendant des années de défaillance de l'Etat irakien depuis le changement de régime en 2003. Le pays, qui dispose des troisièmes réserves mondiales prouvées de pétrole et 12e de gaz, parviendra-t-il à redresser enfin sa situation au bénéfice de ses 37 millions d'habitants ? Ceux-là attendent de voir, maintenant que les guerres sont derrière eux et que leur pays vient de se doter d'un nouveau président et d'un nouveau Premier ministre, s'ils auront enfin accès à l'électricité, à l'eau et aux autres services publics de base. Pour que dans l'Irak si riche, les Irakiens soient moins démunis.