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Libération
Récit

Espagne : l’extrême droite lance son ibère attaque

Anti-immigrés, en guerre contre l’indépendantisme catalan, relents de franquisme… Après le succès de son meeting dimanche à Madrid, le mouvement Vox, qui ne pesait quasiment rien aux dernières élections, confirme la poussée des idées réactionnaires en Europe.
Le président de Vox, Santiago Abascal, lors du meeting de dimanche dan sles arènes de Vistalegre à Madrid. (Photo Manu Fernandez. AP)
publié le 11 octobre 2018 à 19h56

«Ensemble, de nouveau, nous ferons de l'Espagne une grande nation. Une et indivisible. Une Espagne vive, pas cette Espagne morte que l'on a aujourd'hui.» Un collier de barbe taillé avec soin, le cheveu court, Santiago Abascal n'est pas un tribun. Mais son verbe est clair, net, affûté comme une serpe. Et dimanche, dans les arènes de Vistalegre, dans le sud-ouest de Madrid, son discours patriotique aux relents franquistes a fait mouche : 9 000 personnes se sont entassées dans l'édifice circulaire, laissant 2 000 autres militants dans la rue, par manque de place. A l'intérieur, la ferveur est au rendez-vous, les drapeaux verts du mouvement se mêlent aux étendards nationaux sang et or, cris et clameurs interrompent le chef de file à chaque fois que celui-ci prononce les mots de «Catalogne», «ETA», «frontières», «illégaux» ou «délinquants».

Le parti Vox a le vent en poupe. Le succès de ce meeting madrilène (à l'endroit même où, deux ans plus tôt, les radicaux de gauche de Podemos avaient mis en scène leur éclosion) a généré un grand intérêt médiatique. Santiago Abascal, son président d'origine basque, ne se limite plus à fréquenter les plateaux télé et les médias de la droite la plus réactionnaire - Intereconomía, la Razón, esRadio… Le voici qui ces jours-ci dialogue dans les émissions mainstream de la télé publique RTVE, Onda cero, Antena 3, etc.

Symptôme

Celui en qui on voyait un leader populiste d'extrême droite infréquentable est désormais invité un peu partout pour répéter à l'envi que son pays «est en phase de destruction» et qu'il faut «appliquer cent mesures urgentes», rédigées par son parti. Parmi celles-ci : fin des aides pour tout immigrant ; faire de Ceuta et Melilla, ces deux enclaves espagnoles d'Afrique du Nord par où passent des centaines de migrants, «un verrou infranchissable» ; en finir avec «les privilèges de l'establishment, ces caciques et ces lobbyistes qui fument le cigare dans des canapés alors que la classe moyenne souffre» ; «barrer la route aux putschistes que sont les séparatistes catalans»

Vue du reste de l'Europe, balayée par des vents d'extrême droite, l'ascension de Vox peut paraître dérisoire. Absente du Parlement national et de tout hémicycle régional, cette formation née en mai 2014 n'a recueilli que 0,2 % des voix aux élections générales l'an dernier. Mais, depuis et spécialement à la faveur du conflit en Catalogne, le panorama a changé. En quelques mois, le nombre d'adhérents a été multiplié par cinq, les sondages lui accordent 3 % des suffrages, davantage que les indépendantistes basques de Bildu ou du PNV. «Le vaccin antifranquiste a eu un effet préventif sur l'émergence d'une extrême droite, ce qui depuis quarante ans explique la faiblesse d'une droite dure en Espagne, souligne José Miguel de Elías, de l'institut de sondage Sigma Dos. Et pourtant, la montée de Vox est un symptôme que les choses sont en train de bouger.»

L'avènement, même timide, de Vox est symptomatique d'une libération de la parole contestataire et antisystème. Sous l'égide de Pablo Iglesias, Podemos a été la première force à l'exprimer, depuis la gauche. Même s'ils n'ont pas la radicalité du Mouvement Cinq Etoiles en Italie, Vox en est la réplique à l'extrême droite, avec un discours beaucoup plus musclé et décomplexé. Aussi bien Santiago Abascal que son numéro 2, Javier Ortega Smith, ancien membre d'«unités d'opérations spéciales» de l'armée, préconisent un mur de béton à Ceuta et Melilla. Ils ne cachent pas non plus leur dévotion pour Steve Bannon, Viktor Orbán, Marine Le Pen, les mouvements extrémistes néerlandais, allemands ou autrichiens. «Il faut en finir avec la social-démocratie européenne et restaurer l'Europe des nations, clame Javier Ortega. L'Espagne doit recouvrer sa grandeur et sa pureté contre les cosmopolites de Bruxelles.» Nul doute que Vox profite du bras de fer entre l'Etat et les sécessionnistes catalans, dont la majorité des dirigeants se trouvent en prison ou en exil. «Pour leurs sympathisants, les gouvernements du socialiste Sanchez et, avant, du conservateur Rajoy s'agenouillent devant les séparatistes, dit l'analyste Gonzalo Adán. Le fondamentalisme des uns, basé notamment sur un sentiment de supériorité vis-à-vis des Espagnols, alimente la colère des autres, qui veulent réaffirmer la fierté patriotique.» «Je crois aussi, estime le sociologue Xavier Coller, qu'il y a une généralisation du mouvement radical, nourrie par l'immigration illégale, la crise économique, le rejet des partis traditionnels, les frustrations magnifiées par le trumpisme… La spécificité espagnole, c'est la peur que la nation soit dépecée par des irrédentistes, aujourd'hui catalans, demain basques peut-être…»

Avènement

Autre signal du succès de Vox : une bonne partie de son discours a été récemment récupérée par les deux grands partis de la droite espagnole. Le Parti populaire, depuis peu dirigé par le jeune Pablo Casado, et Ciudadanos, emmené par Albert Rivera. Ceux-ci préconisent sans complexe une recentralisation du pays, notamment dans la santé et l’éducation. A Vox, on souhaite carrément la suppression des 17 régions espagnoles, comme à l’époque franquiste. De l’avis général, les élections municipales, régionales et européennes de l’an prochain permettront de savoir si l’avènement de Vox est un feu de paille. Ou le début d’une irrésistible ascension.