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Interview

Espagne : «La faiblesse de la droite pourrait profiter à Vox»

L’historienne Sophie Baby remet en perspective la montée du mouvement de Santiago Abascal en retraçant l’évolution des idées d’extrême droite en Espagne depuis la mort de Franco.
publié le 11 octobre 2018 à 19h56

Sophie Baby est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'université de Bourgogne-Franche-Comté. Elle a notamment travaillé sur le passage du franquisme à la démocratie et son livre le Mythe de la transition pacifique, violence et politique en Espagne (1975-1982), paru en 2013 (Casa de Velázquez), a été traduit cette année en espagnol (éditions Akal).

Après la mort de Franco en 1975, qu’est devenu son héritage politique ?

Il s’est incarné dans un seul parti, Fuerza Nueva (Force nouvelle). Auparavant, sous la dictature, il n’y avait pas de partis, mais un «mouvement national» qui regroupait les forces politiques sur lesquelles s’appuyait le régime. Dont la Phalange, une formation de type fasciste créée dans les années 30, et qui existe toujours.

Avec l’instauration de la démocratie en 1977, l’extrême droite a-t-elle disparu ?

Pas vraiment, puisque Fuerza Nueva, malgré ses résultats électoraux modestes (un seul député élu en 1977), avait une forte capacité de mobilisation, en rassemblant des centaines de milliers de personnes à Madrid chaque 20 novembre, pour l’anniversaire de la mort de Franco. Le parti a fini par disparaître dans les années 80. Son projet politique consistait à susciter un coup d’Etat militaire, un projet ruiné par l’échec du soulèvement contre la démocratie de février 1981.

Les idées extrémistes ont-elles été représentées par un autre parti ?

Le segment de l’opinion catholique, rurale et attachée aux valeurs morales de la dictature s’est naturellement retrouvé dans le Parti Populaire (PP). Rappelons que le PP a pour ancêtre Alianza Popular, parti issu de l’appareil franquiste, et qui en recyclait de nombreux cadres. Le PP (qui a changé de nom quand José María Aznar en a pris la tête) s’est modernisé en acceptant les règles démocratiques et l’entrée dans l’Europe, mais est resté le gardien des nombreuses valeurs conservatrices.

Comme l’attachement à l’unité de l’Espagne et le refus des tentations séparatistes, notamment en Catalogne ?

Oui, mais aussi dans d’autres régions. L’une des têtes pensantes de Vox est José Antonio Ortega Lara, un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire enlevé par ETA dans les années 80, et très actif dans le réseau des victimes du terrorisme, que le PP a beaucoup utilisé.

Quelles sont les perspectives de croissance pour Vox ?

Rappelons d’abord que c’est pour le moment un mouvement très marginal. Il ne peut guère prospérer sur le thème de la nostalgie de la dictature, qui n’est pas central en Espagne. Par exemple, l’exhumation des restes de Franco, votée en septembre par les députés, ne devrait pas susciter des manifestations d’hostilité. Vox peut en revanche profiter de la faiblesse d’un PP décrédibilisé par les scandales de corruption et occuper un espace à droite que Ciudadanos, plus centriste, n’incarne pas. Quant à l’accueil des migrants, qui n’est pas un sujet dominant en Espagne actuellement, il peut s’imposer dans le débat et bénéficier à Vox.