A moins de trois semaines des scrutins de mi-mandat, le 6 novembre, les publicités de campagne des candidats ont envahi l’espace public américain. A la télévision et à la radio, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, devant les maisons, dans les boîtes aux lettres ou sur des panneaux d’affichage, impossible de rater les visages et les messages des milliers de prétendants aux postes de gouverneurs, de sénateurs, ou de représentants, à l’échelle nationale comme locale. La publicité numérique, qui permet notamment des vidéos plus longues, moins chères et le ciblage d’un public (notamment les jeunes) via des plateformes comme Facebook, est en plein essor. Mais la télévision reste, de loin, le média favori des partis pour diffuser leurs spots de campagne.
Emouvants, rageurs, créatifs ou carrément ridicules, les spots de campagne pour ces midterms 2018 restent une source d’étonnement pour le spectateur étranger. Surtout mis en regard du budget effarant dépensé pour les réaliser et les diffuser : les candidats républicains et démocrates devraient dédier 4,5 milliards de dollars à leurs spots de campagne d’ici les élections, selon le groupe Kantar Media (3,7 milliards pour les publicités télévisées et 800 millions pour la pub en ligne). En incluant tous les supports, des tracts aux réseaux sociaux, à tous les échelons de la politique et en incluant tous types de sources (partis, donations individuelles, comités d’action politique, etc.), le groupe d’analyse de données publicitaires Borrell Associates parvient même à une estimation faramineuse de 8,9 milliards de dollars dépensés d’ici au 6 novembre et consacrés à la publicité de campagne.
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«Traditionnellement, on estime que les budgets alloués à la publicité représentent la moitié des budgets totaux des campagnes présidentielles, un tiers de ceux des campagnes sénatoriales, et un quart de ceux des campagnes pour la Chambre des représentants, explique Travis Nelson Ridout, professeur de science politique à la Washington State University et codirecteur du Wesleyan Media Project, un observatoire des dépenses électorales. Le reste des budgets de campagne finance les enquêtes d'opinion, le staff, les conseillers juridiques, la logistique, comme la location de salles ou de bus pour les meetings, etc.»
Autre tendance surveillée par les analystes à chaque élection : la tonalité générale des spots de campagne. Le Wesleyan Media Project les range en trois catégories : «Si le spot ne parle que du candidat en question, on considère que c'est une publicité positive. S'il ne parle que de l'opposant, on considère que c'est une publicité négative. S'il compare les programmes et les deux candidats, on parle de "contrast ad" («publicité contrastée»), détaille Travis Nelson Ridout. Et dans cette élection, le camp républicain a produit et diffusé plus de publicités négatives que les démocrates.» Selon son étude, menée sur les spots diffusés en septembre, 59 % des publicités en faveur d'un candidat républicain étaient négatives, contre 37 % pour les démocrates. «C'était l'inverse lors des dernières élections de mi-mandat, en 2014 : les spots démocrates étaient alors beaucoup plus négatifs que les spots républicains», note le professeur de science politique.
Dans cette course folle à la dépense, les candidats font le pari que leurs vidéos, avant de leur rapporter des voix lors de l'élection, leur permettront de se faire connaître et de lever des fonds. Le calcul est parfois gagnant, surtout pour certaines vidéos peu chères à produire qui deviennent virales. «Mais il est extrêmement compliqué, aujourd'hui, avec la multiplication des supports et des formats, de mesurer l'impact que ces publicités ont sur le comportement électoral des gens dans la vraie vie, insiste Travis Nelson Ridout. Dans de nombreux cas, les candidats investissent dans ces spots de campagne pour se faire remarquer par les médias et qu'on parle d'eux, particulièrement quand ils contiennent des messages controversés ou politiquement incorrects.» La preuve que cela fonctionne : voici notre petite sélection subjective de ces vidéos de campagne.
La plus efficace
La vidéo de campagne d'Alexandria Ocasio-Cortez, candidate à la Chambre des représentants pour la 14ᵉ circonscription de New York, est l'exemple type de la vidéo virale et efficace. A 29 ans et totalement novice en politique, Ocasio-Cortez a été propulsée égérie de la gauche américaine après sa victoire surprise à la primaire démocrate contre le sortant, élu depuis 1999. Sa première vidéo de campagne, intitulée le Courage de changer et diffusée sur Internet quatre semaines avant la primaire, a fait 5,1 millions de vues. Elle avait été produite pour moins de 10 000 dollars.
On l'entend décliner sa biographie, d'éducatrice à serveuse, et on la voit rencontrer des électeurs de son district, à cheval sur le Bronx et le Queens. «Cette élection, c'est le peuple contre l'argent», déclarait-elle dans ce spot qui a convaincu les électeurs démocrates.
La plus combative
Grâce à sa vidéo de trois minutes et demie et un budget de 50 000 dollars, la candidate démocrate à la Chambre des représentants pour le 31e district du Texas, M. J. Hegar, a levé plus d'un million de dollars. Son spot, intitulé Doors («Portes») est une sorte de biopic accéléré : il montre cette ancienne pilote d'hélicoptère de l'armée de l'air américaine, largement inconnue quand elle a lancé sa campagne, combattre des feux en Californie, être blessée en Afghanistan, ou encore poursuivre en justice le Pentagone pour supprimer la Combat Exclusion Policy, qui excluait les femmes des combats terrestres jusqu'en 2013.
La plus explosive
Attention les yeux (et les oreilles) : Brian Kemp, candidat républicain au poste de gouverneur de Géorgie, n'y va pas par quatre chemins pour ses vidéos de campagne. Les spots de l'actuel secrétaire d'Etat de Géorgie frisent parfois la pub parodique. Pour celle-ci, intitulée So Conservative («tellement conservateur»), il fait «sauter les dépenses publiques», fausse explosion à l'appui, sort sa tronçonneuse pour «déchirer certaines réglementations», ou parade dans son «grand pick-up» – «juste au cas où j'aurais besoin de rafler des criminels clandestins et les ramener chez eux moi-même». Et de conclure, avec un accent du sud très prononcé : «Si vous voulez un conservateur politiquement incorrect, je suis votre homme.»
Brian Kemp n'y va pas non plus de main morte quand il attaque sa rivale démocrate, Stacey Abrams, qui pourrait devenir la première femme noire élue gouverneure aux Etats-Unis. Ils sont au coude-à-coude dans les sondages.
La plus fratricide
C'est peut-être la vidéo la plus extraordinaire de cette campagne. Dans ce spot, six des frères et sœurs de Paul Gosar, représentant républicain de l'Arizona à la Chambre depuis 2011 et candidat à sa réélection, dynamitent son bilan et appellent à voter pour son adversaire démocrate. «Paul Gosar ne travaille pas pour vous», dit ce film, réalisé par l'équipe de campagne du candidat démocrate David Brill. Et la fratrie Gosar d'étriller le bilan de leur frère sur la santé, l'emploi ou la protection de l'environnement.
Paul Gosar, figure du mouvement populiste du Tea Party, est anti-avortement, contre le renforcement des législations sur les armes, et un farouche supporter de Donald Trump. «Mes frères et sœurs qui ont fait ce film publicitaire contre moi sont tous des démocrates qui détestent le président Trump, a réagi Paul Gosar sur Twitter. Ils placent l'idéologie avant la famille. Staline serait fier.» Ça promet un bon repas de Thanksgiving en famille.
La plus gênante
La palme de la vidéo la plus gênante revient à ce spot de campagne de Dan Helmer, candidat démocrate à la Chambre des représentants pour le 10e district de Virginie. Avec ses faux airs de Tom Cruise période Top Gun, il débarque à moto, puis pousse la chansonnette avec des supporters dans une séquence de karaoké censée humilier son opposante républicaine. Suggérons que c'est plutôt l'inverse qui se produit.
La plus pro-Trump
Dans un curieux exercice d'endoctrinement de ses enfants, supposément humoristique, Ron DeSantis, ex-représentant républicain à la Chambre et candidat au poste de gouverneur de Floride, n'en finit pas de faire référence à son admiration pour Donald Trump. On le voit construire un mur en brique avec sa fille, lire The Art of the Deal, le best-seller de Donald Trump à son fils («"Vous êtes virés !", j'adore ce passage»), ou citer des expressions du président américain à son bébé, vêtu d'un body «Make America Great Again».
La plus piquante
Sa performance dans ce spot de campagne n'aura pas permis à Levi Tilleman, candidat à la primaire démocrate pour le 6e district du Colorado, de remporter la primaire de son parti. Il a pourtant donné de sa personne. En réponse à Donald Trump qui veut armer les profs pour riposter en cas de fusillade dans une école, Tilleman propose une alternative dans sa vidéo : les équiper de sprays au poivre. Pour en prouver l'efficacité, il s'asperge le visage avec l'un d'eux. Ça a l'air de piquer (à 1').
Appels à la mobilisation
A noter, dans un autre registre, le nombre important de vidéos virales cette année, conçues non pour soutenir un candidat en particulier, mais pour encourager les électeurs à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter. A l’instar de celles des jeunes de Parkland :
Today is our first #TurnoutTuesday! Knock on 25 doors in your community and help them register to vote! Plus voting feels great. Just ask these guys ↓ pic.twitter.com/8yQOR4preA
— March For Our Lives (@AMarch4OurLives) October 2, 2018
Ou cette autre vidéo, financée par le groupe progressiste Acronym, qui utilise le numérique pour contribuer à faire élire des candidats démocrates. Ce spot plutôt bien fait, vise l'électorat millenial à grand renfort de psychologie inversée :
Powerful PSA Calls On Young People To VoteThis brilliant but brutal PSA is trying to motivate young people to vote
Posted by NowThis Politics on Tuesday, October 2, 2018