Ecrivain, Richard Eskow fut la plume principale du candidat démocrate Bernie Sanders pendant les primaires des présidentielles 2016. Deux ans après la victoire de Donald Trump, et à la veille d’élections de mi-mandat cruciales, il analyse l’état actuel et les perspectives du Parti démocrate.
A lire aussiMidterms : les femmes mènent la charge
Qu’est ce qui a changé au sein du parti depuis la primaire fratricide de 2016 ?
Le changement le plus important est l’émergence de nouveaux candidats, en particulier des femmes et des jeunes, qui ont mené une campagne très marquée à gauche et remporté un certain nombre de primaires pour des sièges à Washington ou au Congrès local. Tous les candidats marqués à gauche n’ont pas gagné, mais la force de ce nouveau contingent, dont certains s’identifient comme socialistes et défendent un agenda bien plus progressiste que nombre de leurs prédécesseurs, marque un basculement majeur.
Quels sont les facteurs qui ont contribué à l’émergence de ces nouveaux candidats ?
Ce phénomène est multidimensionnel. Le premier facteur est la campagne de Bernie Sanders, pendant laquelle beaucoup de gens se sont impliqués en politique pour la première fois. Le second est l’élection de Trump et le fait que les républicains aient le contrôle total du gouvernement fédéral. Cela suscite logiquement une vive réaction négative dans le camp démocrate, qui se traduit par un engagement accru. Enfin, la misogynie du Président et de certains membres de son entourage, et le mouvement #MeToo, ont contribué à mobiliser l’électorat féminin.
Depuis 2016, les démocrates semblent profondément divisés entre une frange progressiste, incarnée à l’époque par Bernie Sanders, et la frange centriste de Hillary Clinton. Dans une tribune en août, vous avez écrit que les appels à l’unité démocrate étaient prématurés. Pourquoi ?
Si je me méfie de ces appels au rassemblement, c’est parce que trop souvent, dans notre famille politique, le thème de l’unité a été utilisé par ceux qui détenaient du pouvoir et de l’influence au sein du parti. Ils appelaient à l’unité derrière les candidats sortants, proches de l’establishment. Or, lorsque j’ai écrit ces mots, certaines primaires étaient encore en cours. Appeler à l’unité des démocrates alors que le parti n’avait pas encore choisi ses candidats était prématuré. Le principe même des primaires est de débattre de nos différences, laisser choisir nos électeurs et, ensuite seulement, nous rassembler. Aujourd’hui, à la veille des élections, les appels à l’unité sont évidemment bienvenus, car il est impératif que les démocrates reprennent le contrôle de la Chambre des représentants, et si possible du Sénat. Mais dès la page des midterms tournée, le parti va basculer sur la campagne de 2020, et il faudra à nouveau laisser le temps aux électeurs de choisir leur candidat et la direction qu’ils veulent donner au parti.
Vous dites que l’émergence de nouveaux élus progressistes marque un basculement majeur au sein du camp démocrate. La primaire de 2020 se jouera-t-elle très à gauche ?
Tout d’abord, je pense que le niveau d’exigence des électeurs démocrates sera plus élevé, à la fois en termes de personnalités et de positions politiques. Ensuite, si on observe les noms des candidats potentiels qui circulent, on note un basculement à gauche. Elizabeth Warren est une progressiste notoire. La sénatrice de New York Kirsten Gillibrand, qui n’était pas vraiment considérée comme une progressiste au Congrès, a opéré un net mouvement vers la gauche, tout comme Cory Booker, le sénateur du New Jersey. Il y a aussi de fortes chances que Bernie Sanders soit à nouveau candidat. Pour l’heure, le seul candidat pressenti pour incarner la droite du Parti démocrate est l’ancien vice-président Joe Biden.
Vous n’anticipez donc pas une primaire aussi féroce que celle de 2016 ?
A l'exception peut-être d'un candidat comme Joe Biden, j'ai le sentiment qu'on n'assistera pas au même type de conflit ouvert qu'en 2016. Au lieu de voir l'aile centriste et l'aile progressiste se déchirer, je m'attends davantage à ce que la plupart des candidats adoptent une rhétorique progressiste, sans forcément avoir l'intention de mettre en place les politiques qui en découlent. Prenez l'exemple de «Medicare for All» [un projet d'assurance médicale publique et universelle, ndlr]. Pendant la campagne, Hillary Clinton avait dit clairement que ce projet ne se ferait jamais. Depuis, 17 sénateurs ont apporté leur soutien à une proposition de loi en ce sens, dont tous les candidats potentiels pour 2020. Tous ne croient pas en la faisabilité de cette idée, mais plutôt que d'afficher une hostilité ouverte, ils soutiennent le principe, quitte à proposer ensuite des lois alternatives moins ambitieuses.
Si la majorité des candidats adopte cette rhétorique progressiste, cela veut-il dire que la gauche du parti est en train de gagner la bataille idéologique ?
Au sein des dirigeants du Parti démocrate, il y a des gens intelligents qui savent lire et analyser les sondages. Or, que disent les sondages ? Que «Medicare for All» est extrêmement populaire, tout comme l'expansion de la «Social Security» [qui gère les retraites publiques et certaines allocations], que la plupart des électeurs démocrates veulent des responsables plus jeunes et plus à gauche. Je pense que l'élite du parti a également remarqué l'énergie et l'excitation générées par les jeunes candidats progressistes. Ils observent tout cela et plutôt que de combattre les idées progressistes, ils cherchent des voies de coopération. Donc dans ce sens, oui, l'aile progressiste est en train de gagner la guerre des idées. Cela étant, cela constitue aussi une menace pour cette aile gauche. Car si tous les candidats se lèvent et disent «je suis le vrai progressiste» sans pour autant avoir l'intention de défendre les propositions politiques qui vont avec, cela pourrait générer de la confusion.