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Libération
Droit de suite

L'étudiante accusée de soutien au BDS autorisée à étudier en Israël par la Cour suprême

La plus haute autorité juridique israélienne a cassé la procédure d'expulsion du ministère de la Sécurité intérieure, alors que la jeune femme de 22 ans était retenue à l'aéroport Ben-Gourion depuis deux semaines.
Lara Alqasem, à son arrivée à la Cour suprême, à Jérusalem, mercredi. (Photo Menahem Kahana. AFP)
publié le 19 octobre 2018 à 17h01

Après quinze jours de rétention à l'aéroport Ben-Gourion, Lara Alqasem, étudiante américaine de 22 ans, va pouvoir rejoindre les bancs de l'Université hébraïque de Jérusalem et suivre les cours en «justice internationale et droits de l'homme» de son master. En tranchant en sa faveur jeudi, la Cour suprême israélienne lui a offert son premier cours magistral, dénouant une affaire à l'écho international, de Jérusalem à New York.

A son arrivée en Israël, visa étudiant en poche, Alqasem s'est vue refuser l'entrée du territoire. En cause : son activisme passé pour le mouvement pro-palestinien BDS (Boycott, désinvestissement, sanction) qui appelle, entre autres, au boycott universitaire d'Israël. Selon une loi controversée promulguée en 2017, tout activiste lié au BDS peut être refoulé à la frontière. Mais dans le cas de l'Américaine, dont la famille paternelle est d'origine palestinienne, s'est posée la question de la temporalité de cet engagement : si l'on a soutenu une fois le BDS, est-on à jamais blacklisté du pays, même quand on cherche à y étudier, à rebours d'un des tenants du mouvement ?

C'est ce qu'ont plaidé ses avocats, qui ont par ailleurs souligné que le ministère de l'Intérieur n'avait dans un premier temps eu aucun problème à lui accorder un visa, avant que des sites pro-israéliens non-gouvernementaux ne portent à son attention des captures d'écrans douteuses, résultat de fouilles des comptes sociaux d'Alqasem. Soit une forme de privatisation militante du travail de renseignement, normalement prérogative de l'Etat…

«Opinions politiques»

Le cas de l'étudiante, soutenue par son université, le parti Meretz (gauche) et l'intelligentsia juive américaine, a soulevé une inquiétude esquissée par plusieurs ONG et la presse progressiste locale ces derniers mois : celle de la transformation du ministère de la Sécurité intérieure en officine anti-BDS chargée d'appliquer une «police de la pensée», visant notamment les journalistes, universitaires et activistes de gauche, sionistes ou pas.

Alqasem, qui a porté l'affaire devant la Cour suprême, a expliqué devant les juges qu'elle avait changé d'avis sur le boycott d'Israël, notamment après avoir étudié l'Holocauste. Le ministère de l'Intérieur israélien y voit une ruse, arguant que la suppression de son compte Facebook avant de rejoindre l'Etat hébreu était une manière de camoufler ses intentions réelles.

Dans un verdict sévère pour le gouvernement Nétanyahou mais qui ne remet pas en cause la loi anti-BDS, la Cour suprême considère que les preuves avancées par l'Etat ne justifient pas son bannissement. Et de conclure : «L'impression inévitable est que l'annulation du visa qui lui a été donné était due à ses opinions politiques. Si tel est le cas, alors il s'agirait d'une étape extrême et dangereuse, qui pourrait mener à l'écroulement des piliers de la démocratie.»

Le ministre de l'Intérieur, l'ultraorthodoxe Aryé Dery, a qualifié ce jugement de «honteux […], contre la dignité nationale». Son homologue de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, au cœur de l'affaire, parle de «grande victoire pour le BDS», accusant la Cour suprême de «castrer» l'autorité législative de la Knesset. Les avocats d'Alqasem ont préféré y voir la preuve que «la police de la pensée n'a pas sa place dans une démocratie».