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Récit

Midterms : les femmes mènent la charge

Midterms: Élections américaines de mi-mandat 2022dossier
Le nombre de candidates bat des records pour les élections de mi-mandat du mois prochain. C’est le Parti démocrate, qui espère reprendre le contrôle du Congrès, qui en présente le plus.
Amy McGrath, candidate au poste de représentante du Kentucky, lors d’un meeting à Owingsville en présence de Joe Biden. (Photo Bryan Woolston. AP)
publié le 19 octobre 2018 à 19h16

La vitrine du nouveau QG de campagne d'Amy McGrath, dans la petite ville de Cynthiana, dans le nord du Kentucky, laisse voir la pluie battante de ce dimanche après-midi cafardeux de septembre. «Merci à tous d'être venus malgré ce temps pourri», lance la candidate démocrate à la Chambre des représentants pour le 6e district du Bluegrass State, en jean et chemise bleue, flanquée de ses enfants. En face, des jeunes, des familles, des retraités applaudissent avec enthousiasme. Porte-à-porte, «phone banking» (les volontaires téléphonent à la chaîne aux électeurs de leur district), meetings… Depuis des semaines, ils font campagne pour cette ancienne pilote de chasse, 42 ans et nouvelle venue en politique, qui incarne la tendance actuelle du Parti démocrate pour les élections de mi-mandat, le 6 novembre (où l'intégralité des sièges de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat et des postes de gouverneurs sont remis en jeu, en plus des législatives locales) : un nombre record de candidatures féminines à avoir remporté la nomination de leur parti.

Ce «jalon dans l'histoire politique américaine», selon Jean Sinzdak, directrice associée du Center for American Women in Politics (CAWP), se vérifie à tous les niveaux, législatif comme exécutif, pour le Congrès à Washington comme pour les Parlements des Etats, le tout très largement porté par le Parti démocrate. Selon la comptabilité du CAWP, 234 femmes sont candidates (dont 187 démocrates) à la Chambre des représentants cette année, loin du précédent record de 167 femmes, en 2016. Elles sont 23, dont 15 démocrates, à se présenter au Sénat, et 16 à faire campagne pour des postes de gouverneurs, vus comme traditionnellement masculins. Aux législatives des Etats, elles sont 3 379 à se présenter (dont 2 374 démocrates), quand le record s'établissait à 2 649 en 2016. Les chiffres de 1992, surnommée «l'année de la femme» en raison du nombre de candidates qui s'étaient présentées, inédit pour l'époque, ne tiennent pas la comparaison.

Biden et Trump

Amy McGrath profite de cette inauguration de QG pour rappeler son côté «pragmatique» et son «indépendance» vis-à-vis du Parti démocrate et de Washington. «Je ne me suis pas lancée en politique parce que c'était mon rêve de petite fille, affirme-t-elle, mais parce que notre pays mérite de meilleurs dirigeants.» Dans le Kentucky, Etat qui a voté pour Donald Trump en 2016, elle se définit comme une démocrate centriste. Les sondages la donnent au coude-à-coude avec le républicain sortant, Andy Barr, et cette campagne est considérée comme l'une des plus serrées du pays. Les démocrates n'ont besoin de faire basculer que 23 sièges pour reprendre la majorité à la Chambre des représentants (qui en compte 435). Preuve de l'enjeu, l'ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden, s'est rendu vendredi 12 octobre dans le Kentucky pour soutenir Amy McGrath ; le président Trump y était le lendemain pour Andy Barr. «Amy plaît aux gens normaux, constate Kay Withers, enseignante à la retraite, en remballant des restes de sandwichs préparés pour l'occasion. On sait qu'elle a servi les intérêts de notre pays, et pas ses intérêts personnels. C'est une femme, une mère, qui met l'éducation en priorité, l'assurance santé, les valeurs familiales… Et qui ne doit rien à personne.»

Cette vague de candidatures féminines aux élections de mi-mandat ne vient pas de nulle part. «D'abord, l'élection de Trump malgré ses propos sexistes, puis l'émergence du mouvement #MeToo qui a tout juste un an, rappelle Meena Bose, professeure de sciences politiques à l'université Hofstra. La conversation nationale sur le harcèlement, les agressions sexuelles, la question du genre a énormément évolué en peu de temps, dans tous les secteurs et à plusieurs niveaux. Il aurait été curieux que le monde politique y échappe.» La confirmation de Brett Kavanaugh à la Cour suprême, malgré des accusations d'agressions sexuelles, a profondément divisé le pays et relancé le débat sur le crédit accordé à la parole des femmes. Plusieurs thèmes ont, selon Jean Sinzdak, du CAWP, nourri ce record de candidatures féminines : «La question de la séparation des familles de migrants à la frontière, le démantèlement de l'assurance santé, les menaces sur les droits reproductifs et en particulier sur le droit à l'avortement, et bien sûr ce choc des cultures qu'est le mouvement #MeToo, qui a créé un environnement politique favorable à des candidatures féminines.» D'autant qu'avec environ 20 % d'élues au Congrès américain actuel, «on part de loin», regrette Sinzdak. Selon l'Inter-Parliamentary Union, les Etats-Unis sont au 103e rang mondial de la parité, entre l'Indonésie et le Kirghizistan (la France est 14e). De nombreuses organisations, associations ou Comités d'action politiques ont accompagné et financé ces candidatures, à l'instar du Women Donors Network, du Working Families Party, de la Women's March, d'Emily's List ou encore d'Emerge America.

A la barbe du routier

Stacey Abrams, candidate au poste de gouverneur en Géorgie ; à la Chambre des représentants, Jahana Hayes (Connecticut), Rashida Tlaib (Michigan), Ayanna Pressley (Massachusetts), Mikie Sherrill (New Jersey)… Toutes ne sont pas néophytes en politique, mais la diversité des parcours s'observe au niveau local comme fédéral : enseignantes, infirmières, avocates, cheffes d'entreprise… Leur succès aux primaires a confirmé l'appétit des électeurs démocrates pour ces profils. Créant parfois la surprise, comme Alexandria Ocasio-Cortez, 29 ans, de mère portoricaine, qui a raflé l'investiture démocrate pour la 14e circonscription de l'Etat de New York à la Chambre des représentants, à la barbe du sortant, Joseph Crowley, vieux routier démocrate élu depuis 1999. A elle seule, Ocasio-Cortez incarne d'autres tendances de ces nouvelles candidates : elles sont nombreuses à défendre des programmes plus à gauche que celui de l'establishment démocrate, et à être issues des minorités.

Selon un rapport du Reflective Democracy Campaign, un observatoire de la démographie des élus américains - qui note au passage qu’aux Etats-Unis, la population est composée à 70 % de femmes et de personnes de couleur, quand le Congrès est composé à 71 % d’hommes blancs -, le nombre de femmes de couleur candidates en 2018 a augmenté de 75 % par rapport aux élections de 2012. Beaucoup sont également issues de l’immigration. A l’instar de Catalina Cruz, qui veut représenter le Queens à la Chambre de l’Etat de New York. Colombienne d’origine, une «Dreamer», comme on appelle ces immigrés illégaux arrivés mineurs dans le pays, elle a obtenu la citoyenneté américaine en 2009. Et si elles passent le 6 novembre, Michelle Lujan Grisham (Nouveau-Mexique) et Lupe Valdez (Texas) seraient les premières démocrates latino-américaines à être élues gouverneures aux Etats-Unis.

«Reste à savoir l'impact que ça peut avoir sur les électeurs, et surtout sur les électrices, reprend Meena Bose. Etre une femme ne définit pas en soi un programme politique, et les femmes ne votent pas en un seul bloc.» Les femmes noires sont le groupe démocrate le plus solide à travers les années. En 2016, elles ont voté à 94 % pour Hillary Clinton. Les femmes blanches ont voté Trump à 52 %, mais des enquêtes récentes suggèrent qu'elles sont nombreuses à regretter leur vote. «D'après ce que l'on constate aujourd'hui, les femmes blanches éduquées constitueront l'électorat pivot de ces midterms», avance Meena Bose. Pour ces élections de mi-mandat, le fossé qui sépare électeurs et électrices n'a, semble-t-il, jamais été aussi profond, avec un dynamisme inédit du vote des femmes en faveur du camp démocrate.