Poedinok : pratique de règlement de comptes entre gens de bonne compagnie, importée dans la Russie impériale depuis l'Europe, prisée par les aristocrates et les officiers, qui se tiraient généralement dessus jusqu'à ce que mort s'ensuive. C'est aussi ce qu'a proposé il y a quelque temps à Alexeï Navalny le général Viktor Zolotov, le chef de la Garde nationale russe, vexé par les accusations de corruption formulées à son encontre par l'opposant. Dans une vidéo tout à fait étonnante,l'ancien chef de la sécurité personnelle de Vladimir Poutine convoque le trublion à «un duel», au cours duquel il promet de le «réduire en bouillie en quelques minutes».
Heureusement que Zolotov a précisé qu'il s'agissait d'une joute sportive. Le patron de l'une des structures de sécurité les plus puissantes de Russie (350 000 hommes), inféodée directement au Président, n'a-t-il pas d'autres ennemis à fouetter ? Pourtant, il est très occupé : «Je n'ai pas pu répondre tout de suite à votre diatribe, j'étais en déplacement, mais je le fais dès mon retour. Mieux vaut tard que jamais», lance-t-il au début de son allocution. Vendredi, Alexeï Navalny s'est fendu d'une réponse en se prêtant au jeu lancé par le général. Béret de Che Guevara sur la tête, l'opposant s'est d'abord excusé de ne pas avoir pu réagir plus tôt. Rapport aux cinquante jours qu'il vient de passer au trou pour avoir enfreint la loi de manifester.
Ensuite, Navalny a remercié Zolotov pour sa vidéo «qui a dû faire saigner des yeux la moitié des Russes», mais qui, mieux que tout discours tenu par un opposant, a prouvé que «les postes clés en Russie sont occupés par des dérangés. […] Pas simplement des voleurs mais des fous, qui, avec Poutine, [sont] en train de transformer la Russie en république bananière. Un pays dans lequel, quand on dit à un fonctionnaire "vous avez volé un milliard, voici les preuves", vous répondez : "Viens, on va se battre."» Pendant seize minutes, Navalny dénonce la médiocrité de l'ancien mécanicien, dont le seul périmètre d'action, avant qu'il ne soit propulsé chef de la Garde nationale, n'a jamais été que les «2 mètres de cordon autour de Poutine», pour lequel il a géré un certain nombre de «magouilles».
L'opposant, qui accuse Zolotov de «voler l'Etat, le peuple et ses collègues», notamment en passant des commandes de nourriture pour sa structure à des prix trois fois supérieurs au marché, fait un tour des propriétés de luxe du général et des membres de sa famille. Et conclut en provoquant lui aussi Zolotov à une rencontre face à face, mais en mode civilisé : un débat télévisé. Inutile de préciser que le général ne compte pas s'abaisser à ce type d'exercice de mauviette.