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Libération
édito

Diabolique

publié le 23 octobre 2018 à 20h56

Il en rêvait, Mohammed ben Salmane («MBS») le lui offre sur un plateau. Recep Tayyip Erdogan, le très autoritaire président turc, qui visait depuis des lustres le leadership du monde musulman sunnite et une influence de premier plan sur la marche du monde, est en passe de devenir le roi du pétrole. La rocambolesque affaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont tout laisse à penser qu’elle a été ourdie par MBS, le prince héritier saoudien, provoque un véritable séisme sur la scène internationale. Rebattant les cartes du pouvoir dans la région, et même au-delà. Permettant au diabolique sultan, à peu de frais, de se faire le défenseur des journalistes opprimés, lui qui, depuis la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, enferme à tour de bras les représentants des médias. En réalité, tout est invraisemblable dans cette affaire que John Le Carré lui-même n’aurait pas osé imaginer, et d’abord le scénario sordide inventé pour liquider celui qui détenait trop de secrets sur le jeune prince. Il faut être doté d’un bien piètre sens tactique pour avoir monté cet assassinat sur le sol turc. Erdogan, qui attendait son heure, a sauté sur l’occasion pour affaiblir l’Arabie Saoudite que rien ne semblait pouvoir déstabiliser, ni les décapitations arbitraires, ni les bombardements sur le Yémen. Pour le président américain, Donald Trump, qui avait fait de Riyad le pivot de sa croisade contre l’Iran, l’affaire tombe au plus mal. C’est toute sa politique moyen-orientale - si tant est qu’il en ait une très solide - qui tombe à l’eau. Quelles que soient les suites de cette affaire, elle laissera des traces. MBS s’était déjà fait beaucoup d’ennemis au sein du royaume dans sa marche vers le sommet, il est maintenant durablement fragilisé. Soit le roi finit par le destituer, soit il le maintient au pouvoir en réduisant son champ d’action. Dans les deux cas, le royaume perd de sa superbe