C'est une première depuis le déclenchement du conflit en Syrie et la multitude d'initiatives diplomatiques censées le régler. Les dirigeants russe, turc, français et allemand se rencontreront samedi en fin d'après-midi à Istanbul. «C'est un pari lucide, et nos attentes sont mesurées», reconnaît-on à l'Elysée. Le «format inédit» de la rencontre n'a pas non plus «vocation à être pérenne», ajoute-t-on.
Paris espère quand même deux avancées principales. Le premier est celui d'une relance du processus politique. Les discussions dites de Genève sont au point mort depuis plusieurs mois. Celui qui tentait de les mener au nom des Nations unies, le diplomate Staffan de Mistura, vient d'annoncer sa démission. Le sommet de samedi vise à «mettre la pression» sur Damas pour qu'il accepte de relancer les négociations à l'ONU autour de l'établissement d'une nouvelle Constitution, ce qui pourrait ensuite aboutir à une transition politique. Sans surprise, le régime syrien y est totalement opposé. Mercredi, il a une nouvelle fois opposé une fin de non-recevoir à Staffan de Mistura, en visite à Damas. Le diplomate lui demandait d'arrêter de bloquer la création du Comité constitutionnel, où doivent s'organiser les négociations. «La Constitution, et tout ce qui s'y rapporte, est une question de souveraineté […] sans aucune ingérence étrangère», a affirmé le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, à l'émissaire des Nations unies.
Traité pas totalement respecté
L'autre objectif, plus réaliste, du sommet de samedi, est de consolider le cessez-le-feu en vigueur à Idlib, dernière province syrienne à être encore contrôlée par l'opposition. Un accord entre la Turquie et la Russie, signé le 17 septembre à Sotchi, a permis de repousser une offensive du régime de Bachar al-Assad qui aurait provoqué une catastrophe humanitaire dans une région qui compte 3 millions d'habitants. Mais il reste fragile. Jeudi, Damas et les rebelles se sont mutuellement accusés d'avoir violé le cessez-le-feu en vigueur depuis le 15 octobre. Des tirs de roquette et d'artillerie de l'armée syrienne ont tué une fillette et fait plusieurs blessés à Kafr Hamra, dans l'ouest de d'Idlib.
Le traité n’a pas non plus été totalement respecté. La clause qui imposait que les groupes rebelles et jihadistes retirent leurs armes lourdes d’une zone démilitarisée de 15 à 20 kilomètres de large qui courent le long des frontières de la province a été satisfaite. Mais pas celle qui exigeait des jihadistes qu’ils quittent cette zone. Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le groupe le plus puissant d’Idlib, a évacué une partie de ses hommes, mais pas tous. D’autres formations, plus radicales encore, n’ont, elles, pas obtempéré.
«Gagner la guerre et la paix»
Pour autant, la Russie semble s'en accommoder. «Selon les informations que nous recevons de nos militaires, l'accord est mis en œuvre et l'armée est satisfaite de la façon dont la Turquie travaille», a déclaré le 16 octobre le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. «La Russie a intérêt à ce que la Syrie se stabilise pour pérenniser sa présence dans le pays. Ses dirigeants savent que gagner la guerre ne suffit pas, il faut aussi gagner la paix. C'est pour cela qu'ils donnent sa chance à cet accord», explique un diplomate turc. Pour l'heure, le régime syrien se dit lui aussi prêt à patienter.
Mais il répète régulièrement que sa souveraineté devra s'appliquer à l'ensemble du territoire. Pourra-t-il appliquer à Idlib la même stratégie dite «de réconciliation», censée offrir une amnistie aux rebelles qui déposent les armes, qu'il a mise en œuvre à Deraa, dans le sud du pays ? A priori, non. Les rebelles d'Idlib, notamment ceux de la coalition du Front de libération national, proche de la Turquie, affirment qu'ils refuseront toute négociation. «Le régime a trahi ses engagements à Deraa. Des anciens rebelles ont été arrêtés ou ont été envoyés de force dans l'armée de Bachar. Ça n'arrivera pas ici, nous sommes absolument opposés à ce que le régime reprenne le contrôle d'Idlib. Beaucoup de combattants viennent d'autres régions où ils ont refusé de se rendre. Ils ne vont pas le faire maintenant», explique Naji Moustafa, porte-parole du Front national de libération.
Sous pression
L'option d'une offensive massive de l'armée syrienne et des alliés, Hezbollah libanais et milices iraniennes, reste possible. Pour la retarder au maximum, la Turquie, qui craint un exode vers sa frontière, a déployé environ 3 000 soldats dans la province et bâti 12 postes dits «d'observation». Elle s'emploie aussi à forcer les jihadistes de Hayat Tahrir al-Sham à dissoudre leur groupe et à envoyer leurs combattants dans d'autres formations, sous la bannière du Front national de libération. La direction de HTS ne s'est pas prononcée officiellement. Mais elle se sait sous pression et ne peut pas se permettre de s'opposer frontalement aux exigences turques. Plusieurs commandants jihadistes de premier plan ont par ailleurs été assassinés ces derniers mois dans des opérations attribuées aux services turcs.