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Libération
Éditorial

Atmosphère

publié le 28 octobre 2018 à 20h36

Tragique constante de l'histoire : quels que soient les conflits, les périodes ou les continents, quelles que soient les difficultés, quelles que soient les crises, il arrive toujours un moment où les juifs sont désignés comme boucs émissaires. C'est chose faite aux Etats-Unis, où vient d'avoir lieu «la pire tuerie antisémite» de l'histoire américaine, selon la phrase de l'Anti-Defamation League, une organisation qui lutte contre l'antisémitisme. On dira qu'il existe aussi, dans le passé des Etats-Unis, une longue tradition antijuive, depuis la guerre de Sécession jusqu'aux divagations racistes de l'alt-right contemporaine, en passant par Henry Ford, le père Coughlin, la Ku Klux Klan ou les discours du leader afro-américain Louis Farrakhan. Mais comment nier que l'atmosphère instaurée dans le pays depuis l'élection de Donald Trump prépare, encourage, favorise ces explosions de violence raciste ? Les mots aussi peuvent tuer, non pas directement, mais parce qu'ils arment l'esprit malade des tueurs, justifient les paranoïas, nourrissent le complotisme congénital des extrêmes. Nous assistons - et pas seulement aux Etats-Unis - à une brutalisation du débat public qui donne à la haine brute une factice et redoutable légitimité. A force de stigmatiser «le politiquement correct», «la bien-pensance», à vouloir à toute force, au nom d'une vision ultra-libertaire de l'expression sur le Net, laisser libre cours aux discours les plus infâmes, on inonde la scène nationale, à la télévision ou sur les réseaux, d'une rhétorique meurtrière. Les minorités les mieux intégrées - les juifs par exemple - se rassurent parfois en notant que ces invectives sont dirigées avant tout contre les étrangers, notamment contre les migrants. Erreur mortelle : quand on fait sortir de son puits l'obsession identitaire, elle vit sa vie autonome et se nourrit non des raisonnements, mais des affects les plus vils pour atteindre toutes les différences, toutes les minorités, tous les groupes, qui deviennent immanquablement l'étranger de quelqu'un. Trump n'est pas antisémite et il a plaidé - cette fois - la concorde (entre deux philippiques). Mais ses attaques incessantes contre les mauvais Américains - concept qui peut englober n'importe qui - et si semblables à celles qu'on entend en Europe, marquent un effrayant recul de la civilisation.