Ils dansaient en ligne au rythme de la musique country, jeunes et insouciants, bottes de cowboys aux pieds, quand les bruits ont commencé. «J'ai entendu de gros pop, pop, pop», dit un témoin. «Comme un ballon de baudruche qui explose», raconte une autre. Il s'agissait en fait de balles de calibre 45 tirées par un pistolet semi-automatique brandi par un vétéran des Marines de 28 ans. En quelques secondes, dans un bar bondé de Californie, onze personnes, des étudiants pour la plupart, ont été tuées, beaucoup d'autres blessées. Le tireur a ensuite mortellement blessé un policier avant de se suicider.
Le drame s’est déroulé mercredi soir au Borderline Bar & Grill de Thousand Oaks, ville résidentielle dans la grande banlieue de Los Angeles. Comme tous les mercredis, l’établissement, prisé des étudiants de la région, organisait une soirée country. Selon les témoins, plus d’une centaine de personnes se trouvaient sur place lorsque la fusillade a éclaté, vers 23 h 20, heure locale. Certains ont brisé des vitres avec des tabourets pour prendre la fuite.
A l'intérieur, les forces de l'ordre ont découvert «une scène atroce» avec «du sang partout», les corps sans vie, de nombreux blessés et des survivants «cachés dans les toilettes et dans les combles», a raconté le shérif du comté de Ventura. «Ça a été une rude nuit pour nous», a ajouté Geoff Dean, rendant un hommage appuyé au sergent tué, Ron Helus, premier agent arrivé sur les lieux et qui a pris la décision d'intervenir : «Il est mort en héros parce qu'il est entré pour sauver des vies.»
Vêtu de noir, coiffé d’une casquette de baseball et le visage partiellement masqué, le tireur a, lui, été retrouvé mort dans un bureau près du hall d’entrée du bar. Selon la police, il a vraisemblablement retourné contre lui son unique arme, un pistolet Glock 21 doté d’un chargeur de grande capacité - illégal en Californie.
Hagards. Une rescapée dit l'avoir vu recharger son arme «en six secondes, ce qui est très rapide». Et pour cause : l'homme, identifié par la police comme David Ian Young, 28 ans, était un ancien caporal des Marines engagé de 2008 à 2011, déployé en Afghanistan en 2010. Décoré à plusieurs reprises, il souffrait, selon des voisins, de stress post-traumatique.
Une énième fois, l'Amérique, malade de ses armes mais incapable de les réguler, s'est réveillée jeudi matin avec les images d'un massacre. Le même déploiement, impressionnant, d'ambulances et de véhicules de police. Les mêmes scènes de rescapés, fuyant d'abord les lieux en courant, puis recouverts de couvertures, hagards, en larmes ou en colère. Et, comme toujours, chez certains, la même incrédulité : «Je n'aurais jamais cru que cela pouvait arriver ici.» Dans une interview avec CNN, le maire de Thousand Oaks, Andy Fox, a souligné que sa ville était «considérée comme l'une des plus sûres» du pays. Avant d'ajouter, lucide : «La réalité est que ce type d'incidents peut arriver n'importe où, à tout moment, même dans les communautés considérées comme extrêmement sûres».
«Que Dieu bénisse toutes les victimes et les familles des victimes», a réagi Donald Trump sur Twitter, après avoir salué «la bravoure» des policiers. Sans surprise, le président américain n'a pas parlé des armes. Contrairement aux démocrates. «Je prie pour les blessés et les familles de ceux qui ont été tués et qui, comme tant d'autres, ont perdu des êtres chers à cause de la violence armée, a martelé la sénatrice de Californie, Kamala Harris. Les leaders du Congrès doivent agir - pas dans un futur lointain», ajoute la possible prétendante à l'investiture démocrate pour la présidentielle de 2020. «C'est un autre rappel du fléau de la violence armée qui ronge l'Amérique depuis trop longtemps. Nous devons agir pour y mettre fin», a abondé le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer.
Compromis. Forts de leur majorité à la Chambre des représentants, acquise lors des midterms de mardi, les démocrates pourraient, certes, tenter, après la rentrée parlementaire de janvier, de voter une loi durcissant les contrôles. Voire de trouver un compromis avec Donald Trump, qui s'est parfois montré ouvert à la discussion sur ce sujet. Mais rien ne permet de penser que le Sénat, où les républicains ont renforcé leur majorité, y serait favorable.
Le scénario, glaçant et funeste, semble écrit d’avance : les douze victimes de Thousand Oaks ne changeront rien. Pas plus que les 11 de la synagogue de Pittsburgh le 27 octobre, les 17 du lycée de Parkland en février, les 27 (dont 20 enfants de 6 et 7 ans) de l’école primaire de Sandy Hook en 2012, les 49 de la discothèque d’Orlando en 2016 ou les 58 du festival de Las Vegas l’an dernier, tuerie la plus meurtrière de l’histoire américaine, dont certains rescapés se trouvaient, mercredi soir, dans le bar californien. Selon le site Mass Shooting Express, qui recense les fusillades «de masse» aux Etats-Unis (plus de quatre personnes touchées par balle), 376 incidents du genre ont eu lieu depuis le début de l’année.